Congrès de l'USS - Discours de Bernadette Ségol, Secrétaire générale de la CES

Berne, 24 octobre 2014

 

[Le texte prononcé fait foi]

 

Président, chères camarades et chers camarades, 

 

Bonjour. Je suis très heureuse d’être ici et de prendre part au 55ème congrès de l’Union Syndicale Suisse.

 

A tous et toutes je transmets  les salutations chaleureuses et fraternelles des membres de la Confédération européenne des syndicats.  Pour la CES, c'est certain, la solidarité syndicale ne connaît pas les limites frontalières de l’Union européenne, nous sommes confrontés aux mêmes défis et aux mêmes obstacles. Et vos objectifs sont nos objectifs. 

 

Dans cette période, les travailleurs et leurs syndicats connaissent des temps difficiles partout en Europe.

 

Lorsque les économies voisines d’Europe occidentale ont plongé dans la récession, vous avez également été affectés. Malgré la vigueur et la stabilité de votre économie, la croissance a ralenti. Vous aussi avez dû, au cours de la dernière décennie, faire face à des licenciements et à une chute de la demande interne.  En Suisse, le chômage a augmenté.  Pourtant, vu à partir de l'UE, votre situation reste enviable. 

 

La Suisse n'est pas dans une île, et l’UE est le premier partenaire commercial de la Suisse.  Il est clair que la crise de la zone euro a eu, a et aura des conséquences négatives.

 

Malheureusement les forces d’extrême droite ont tiré profit de la situation pour prendre les travailleurs migrants pour cible. Comme dans d’autres parties d’Europe, les immigrants ont été tenus pour responsables de tout, qu’il s’agisse des transports en commun surpeuplés ou de l’augmentation des prix du logement.

 

Vous avez pris position contre ces préjugés populistes!  Je vous dis Bravo.

 

Nous devons œuvrer ensemble pour renforcer l’organisation syndicale partout en Europe et riposter à l’augmentation alarmante du soutien aux partis xénophobes d’extrême droite, aujourd’hui fortement représentés au Parlement européen.

 

De graves questions sont en jeu ici, notamment après le référendum sur la libre circulation des personnes entre l’Union européenne et la Suisse.

 

Il faut être clair, cher(e)s camarades, le résultat de ce référendum aura des conséquences importantes sur les relations entre l’Union et la Suisse. La libre circulation des personnes est un droit fondamental de l’Union.  C'est d'ailleurs un atout qui a permis la croissance économique en Suisse !  

 

C'est vrai, la pression sur les salaires a été fortement ressentie pendant ces dernières années, et surtout dans les régions frontalières. Par exemple, au Tessin, où la crise en Italie a fait tache d'huile. La pression de la Lombardie, avec plusieurs millions d’habitants, est devenue insoutenable pour un canton qui en compte seulement trois cent quarante mille.

 

Les inégalités transfrontalières ont encouragé le dumping social. Mais les travailleurs migrants ne sont pas responsables.

 

C’est pour cela que, comme vous, nous luttons pour l'égalité de traitement.  Quelle que soit son origine et quel que soit son employeur, tous les travailleurs qui font un même travail sur un même lieu doivent recevoir le même salaire et être traités pareillement.  Il faut respecter le principe de non-discrimination. Limiter le séjour, l’accès au marché du travail et à la sécurité sociale, le regroupement familial des migrants en provenance de l’Union représenterait une énorme régression sociale. En Suisse, il faut continuer de payer des salaires suisses indépendamment de la couleur du passeport. Les mesures sociales d’accompagnement existantes doivent donc être renforcées et non pas affaiblies.

 

Il est très opportun, chers amis, que le slogan de ce congrès soit Sécurité, solidarité, équité !

 

Nous avons besoin de solidarité, pas de barrières, ni de frontières, ni d’une concurrence qui divise les travailleurs et mette en cause notre droit à vivre dans la dignité !

 

Nous refusons sans ambiguïté que des travailleurs soient instrumentalisés pour faire baisser les salaires et les conditions de travail d’autres travailleurs !

 

Nous répéterons nos exigences à la nouvelle Commission européenne et au Parlement européen en faveur d’une législation plus forte pour qu’une fois pour toutes le dumping social soit mis hors la loi.  Nous voulons qu’un protocole de progrès social dise clairement que, dans l’UE, les droits fondamentaux ont priorité sur les libertés économiques.

 

Ce principe devrait aussi être au cœur de la renégociation des relations entre l’UE et la Suisse suite au résultat du référendum. Ces négociations seront difficiles, ne nous faisons pas d'illusion. Mais ensemble nous ferons pression auprès des institutions européennes pour que les droits des travailleurs européens et suisses soient respectés et renforcés.

 

Camarades,

 

L’UE doit également mettre fin au dumping fiscal qui perpétue une concurrence déloyale entre États membres en matière d’emplois et d’industries. L’Europe a besoin d’un régime fiscal équitable, de la fin de la fraude et de l'évasion fiscales. Chaque année, 1.000 milliards € sont perdus au travers de l’évasion fiscale et de la fraude fiscale. Cela doit cesser. 

 

Cet argent est nécessaire pour investir dans des emplois de qualité et les services publics.  Et nous avons besoin d'emplois de qualité et de bons et solides services publics.

 

Le secteur bancaire est l’une des pierres angulaires de l’économie suisse et attire des investissements du monde entier. Mais les temps changent. La manière dont un certain secret bancaire permet aux riches de mettre leur fortune à l’abri d’une juste imposition n’est plus acceptable.

 

Nous nous réjouissons de l’annonce récente faite par la Suisse qui se dit prête à négocier avec l’UE l’application de la norme mondiale de l’OCDE d’échange automatique de renseignements en matière fiscale. Ce sera une étape de plus dans la lutte contre l’évasion fiscale.

 

La Suisse doit réformer son système bancaire pour le rendre plus transparent. Il faut en outre mettre fin au régime fiscal qui accorde un traitement de préférence aux entreprises multinationales.

 

Stop à la concurrence fiscale entre pays !

 

Stop à la fraude et à l'évasion fiscale ! 

 

 

 

Chers amis, il faut toujours le rappeler: le syndicalisme est un pilier constitutif de la démocratie et un gage de justice sociale

 

Chers amis,

 

Aujourd'hui, le syndicat européen est à la veille d'une étape importante, en forme de point d'interrogation.  La CES se prépare à travailler avec un nouveau Parlement et une nouvelle Commission.

 

Nous percevons quelques signes encourageants mais nous nous posons aussi beaucoup de questions. Depuis le début de la crise, nous avons dit clairement que l’austérité n'était pas la solution. Il semblerait  enfin que certains dirigeants européens aient compris qu'ils ou elles ne peuvent plus dire que tout va bien et que les problèmes sont derrière nous.

 

Comment peut-on dire que tout va bien et que les problèmes sont derrière nous quand plus de 25 millions d'hommes et de femmes sont au chômage, que les inégalités et la pauvreté augmentent ?

 

Chers amis, dans les années passées nous avons mis sur la table une proposition de contrat social pour l'Europe et proposé un plan d'investissement ambitieux.

 

Nous demandons beaucoup plus : un investissement annuel supplémentaire à hauteur de 2% du PIB européen sur les 10 prochaines années. Cela contribuera à améliorer les services publics, à développer des technologies respectueuses de l’environnement et à créer jusqu’à 11 millions d’emplois nouveaux

 

Dans son programme pour la nouvelle Commission, le Président désigné, Jean-Claude Juncker, a promis « Un nouvel élan pour l’Europe » avec un programme pour « l’emploi, la croissance, l’équité et le changement démocratique ».  Il parle d'une Europe sociale triple A.

 

Il a promis de présenter début 2015 « un plan ambitieux en faveur de l’emploi, de la croissance et de l’investissement ». Cela doit nous encourager;  Nos demandes reçoivent un écho.  Mais pas question de baisser les bras. Nous ne le savons pas encore si la proposition Juncker va prendre forme et personne n'a encore clarifié le contenu de ce plan et l'argent qui devait lui être consacré.  

 

Nous attendons de voir le contenu de ce programme.  Voyons si M. Juncker sera à même de faire adopter son programme par les responsables européens au sein du Conseil.

 

Chers amis,

 

La CES a rejeté l'austérité et le pacte budgétaire et appelle à une nouvelle voie pour l'Europe, à une nouvelle politique économique, industrielle et sociale. 

 

Les politiques d'austérité menées jusqu'à présent, particulièrement en Grèce, au Portugal, en Espagne et en Italie ont échoué. Le résultat a été une hausse du chômage et de la précarité.

 

Les données de la Commission montrent que plus de la moitié des embauches de 2012 concernait des contrats temporaires – dans leur immense majorité, involontaires. Dans certains secteurs, plus de 70% des nouveaux contrats étaient des contrats temporaires.

 

Nous, nous savons les souffrances que ces politiques infligent aux gens.  L’austérité a fait le désespoir de nombreux Européens qui ne sont en aucune façon responsables de la crise.

 

Les politiques existantes ne font rien pour réduire le chômage.   Elles font tout pour augmenter la précarité et les inégalités. 

 

Ce sont les travailleurs peu qualifiés qui ont été les plus touchés par les pertes d’emplois, creusant encore l’écart entre riches et pauvres en Europe.

 

L’emploi précaire ne favorise ni l’innovation ni l’augmentation de productivité, pas plus qu’il ne produit des travailleurs bien formés.  Demain, la prospérité de l’Europe reposera sur les travailleurs qualifiés et les industries durables.

 

L’Europe a besoin d’investissement dans des emplois de qualité pour tous, pas de spéculation financière qui enrichit quelques privilégiés. Une augmentation salariale pour les travailleurs européens contribuerait grandement à stimuler le côté demande de l’économie ! 

 

La CES dit oui à l'augmentation des salaires.

 

Les salaires sont le moteur de l’économie. L’Europe ne sera jamais relancée si les travailleurs continuent à toucher des salaires de misère. La convergence sur le marché européen du travail doit se faire par une évolution à la hausse, non par un abaissement des normes.

 

Chers amis, la négociation et le dialogue font partie de l'ADN syndical. Le dialogue social est maintenant inscrit à l’agenda de la nouvelle Commission, sous la responsabilité du « super-Commissaire » Valdis Dombrovskis. Ce dialogue  doit être une partie intrinsèque du cycle de coordination de la politique économique encore appelé « semestre européen ». Le dialogue social doit être renforcé dans toute l’Union européenne – pas seulement dans la zone euro. Ce dialogue doit être un vrai dialogue, pas de la poudre aux yeux. Les politiciens doivent toutefois reconnaître l’autonomie des partenaires sociaux dans le processus de négociation collective.

 

Chers amis,

 

Dans 12 mois, le Congrès de la CES élaborera un programme pour une nouvelle période de travail de quatre ans.  Je suis certaine que vous serez fortement impliqués parce que vous, syndicalistes suisses faites pleinement partie de la famille des syndicats européens.

 

Je vous souhaite à tous un excellent congrès et plein succès dans toutes vos campagnes futures.