Négociations collectives: priorités et programme de travail de la CES (Résolution)

Bruxelles, 06-07/03/2012

Le contexte

Les mesures d’austérité décidées par les institutions et les gouvernements européens ont un impact important et négatif sur les tendances salariales, les systèmes de formation des salaires et la négociation collective. Dans la plupart des pays de l’UE, le rôle des partenaires sociaux est miné, ce qui a des répercussions sur le pouvoir des syndicats.

En période de récession économique, le nivellement des salaires par le bas a remplacé la dévaluation monétaire et est devenu un outil de compétitivité pour l’Union européenne.

Les gels et les baisses de salaires, dans le secteur public et privé, les contrats à clause d’ouverture ainsi que les accords bipartites et tripartites influencent fortement l’activité des négociations collectives.

Ces changements font suite à une décennie d’augmentations relativement faibles des salaires et des coûts salariaux unitaires (souvent dues aux réformes du marché de l’emploi) dans certains pays et à l’absence de négociations dans d’autres pays, notamment en Europe centrale et orientale. Cette situation a fragilisé la coordination des négociations collectives et miné des expériences positives telles que le processus de Doorn.

Après le Pacte Europlus, le “six pack” et le Pacte budgétaire, cette stratégie compétitive s’étend à présent à toute l’Europe, par le biais d’une décentralisation forcée des négociations collectives et par la fixation des salaires sur la seule base de la productivité.

Même si le Traité ne permet pas une intervention sur les salaires du niveau européen au niveau national, cette contrainte a été contournée par la “coordination institutionnelle” des politiques salariales qui sapent actuellement ou suppriment totalement le rôle des partenaires sociaux dans un certain nombre de pays.

Comment pouvons-nous coordonner la politique de négociation collective ?

Pour faire face à ce contexte d’austérité et lutter contre le dumping salarial, le Comité de coordination de la négociation collective de la CES a lancé l’idée de créer un “nouveau type de coordination”, afin de soutenir les actions des affiliés en essayant de définir une série articulée de principes actualisés, à mettre en œuvre en fonction des différentes situations nationales.

Si nous voulons vraiment renforcer les syndicats dans l’exécution de leur mission de protection des niveaux de salaires de leurs membres, nous devons mieux analyser les lacunes de nos processus précédents, mieux définir les limites et objectifs de notre action et les adapter au nouveau contexte et aux divers besoins nationaux.

Bien entendu, il n’existe pas de solution convenant à tout le monde et nous ne devons rien imposer à personne: certains affiliés ont besoin de notre aide et de notre soutien, d’autres préfèrent coordonner leur politique de négociation collective par groupe de pays ou de secteurs, d’autres ne veulent pas ou ne peuvent pas participer à un processus de coordination.

Nous devons respecter ces différentes traditions, mais aussi nous entendre sur des objectifs communs, apprendre les uns des autres, partager davantage d’informations et de leçons les uns avec les autres et élaborer une stratégie commune afin de renforcer les syndicats et les capacités syndicales en Europe.

Dans la situation extraordinaire actuelle, nous ne pouvons pas adopter une “position autonome”, parce que les mesures d’austérité, et notamment le tableau de bord de la Commission sur les déséquilibres salariaux en Europe, conduiront obligatoirement à une intervention sur les salaires et à l’austérité même dans les pays les plus forts.

Il faut donc plus de solidarité et de convergence, il faut combiner nos forces grâce à des stratégies différenciées, afin de trouver de nouveaux moyens de nous aider mutuellement.

Des stratégies différentes pour des situations différentes

Dans les pays où la couverture assurée par la négociation collective est importante, les affiliés tentent de renforcer ou veulent préserver leurs mécanismes actuels de formation des salaires.

Dans d’autres pays, où la négociation collective est limitée ou inexistante, les syndicats veulent de nouveaux outils afin de défendre les salaires.

Les effets des salaires minimum sur les tendances et la couverture salariales, et l’affiliation syndicale, ont été examinés dans ce contexte.
Il est établi que l’extension de la couverture des conventions collectives constitue un outil fondamental pour prévenir le dumping salarial.

La possibilité de promouvoir un Contrat social au niveau européen, de mettre en œuvre les stratégies de relance, de garantir l’autonomie et les droits des partenaires sociaux dans la négociation collective, des salaires équitables, un bon emploi et un niveau commun de protection sociale dans toute l’Europe, a également été examinée.

La définition de salaires dans les différents pays dépend des négociations bilatérales entre les partenaires sociaux et du dialogue social trilatéral. Les mesures fiscales et sociales influencent le processus de formation des salaires et devraient être traitées par les partenaires sociaux.

La portée des négociations collectives devrait être examinée dans un contexte plus vaste. Les salaires doivent non seulement être négociés, mais également les objectifs qualitatifs concernant les conditions de travail, les principes d’égalité et les politiques d’emploi.
Des solutions doivent également être recherchées au plan européen, en renforçant le dialogue macroéconomique et le dialogue social, et en organisant des campagnes conjointes plus efficaces.

Le message général des affiliés est que le mouvement syndical européen devrait coordonner ces différents outils de manière plus concrète afin d’éviter des tendances compétitives. En règle générale, ils doivent échanger des informations et notamment les meilleures pratiques, mais dans certains pays, ils doivent également mettre en place des demandes et des actions communes.
Il faut restaurer la confiance nécessaire entre les affiliés.

Une nouvelle coordination de la politique sur la négociation collective

Dans le nouveau contexte économique, il est difficile pour nous d’aboutir à une coordination générale avec des lignes de conduite uniques, ou même d’atteindre les résultats escomptés. Il est également difficile de proposer un nom de campagne universel intéressant tous les travailleurs quels que soient leur pays de résidence, leur secteur ou leur situation professionnelle.

Il vaut mieux axer notre analyse et nos stratégies sur les différentes priorités des affiliés des divers pays, régions et secteurs. Nous essayerons d’apporter à nos membres une aide concrète.

Nous devons donc passer d’une idée abstraite et générale de la coordination, à une série plus concrète d’initiatives, axée sur les différentes situations et les différents besoins. Nous devons adopter une “nouvelle coordination de la politique des négociations collectives”.

La possibilité de créer des régions informelles en vue d’aboutir à une coopération et une coordination politique accrues – réunissant les caractéristiques communes du marché du travail, de la situation économique, de la structure des mécanismes de négociation collective, du taux de syndicalisation et de la structure syndicale, etc. – pourrait être élaborée, examinée et testée.

Notre future coordination de la politique sur la négociation collective pourrait être fondée sur quatre priorités principales, à examiner plus en détail dans les mois à venir dans le cadre d’un processus de mise en œuvre “graduelle”.

1. Renforcer la négociation collective

La négociation collective est l’activité principale des syndicats. Malheureusement, dans de nombreux pays, la négociation collective n’existe pas ou ne peut pas assurer une protection suffisante. Les pouvoirs de négociation des partenaires sociaux ainsi que le contenu des conventions collectives varient considérablement.

La CES et ses affiliés devraient assumer davantage de responsabilités en matière de protection et de promotion des droits syndicaux en Europe.

La CES et ses affiliés devraient lutter pour préserver, améliorer et diffuser la négociation collective partout, en gardant à l’esprit certains principes:
- Nous devons défendre l’autonomie des partenaires sociaux dans la négociation collective;
- Il faut lutter contre la décentralisation non désirée de la négociation collective, obtenue en se débarrassant des conventions collectives au plan national ou en les fragilisant;
- Les salaires doivent augmenter en fonction de taux annuels reflétant – entre autres- les augmentations de l’inflation et les gains de productivité;
- L’augmentation des salaires et la stimulation de la demande intérieure, conjointement avec les investissements et l’innovation, sont des outils fondamentaux de soutien de la croissance économique.
- La négociation collective est un instrument clé pour combattre la discrimination et lutter contre les écarts de salaires entre hommes et femmes.

Bien qu’il faille respecter ces principes, nous devons être conscients qu’ils pourraient être appliqués de manières différentes et à des degrés différents, en fonction des réelles possibilités existant dans les pays.

Cela devrait être un objectif à atteindre progressivement, un objectif à réaliser en offrant une certaine flexibilité. Dans le même temps, les augmentations nominales de salaires devraient rester positives, et les gels et baisses de salaires devraient être refusés.

Ces lignes de conduite nous permettent de consacrer une partie de l’espace de négociation à des mesures qui soutiennent la création d’emplois par exemple, en augmentant le nombre de stagiaires, en investissant dans la formation tout au long de la vie et en réduisant le nombre de contrats d’emploi précaires et peu sûrs. Dans des situations ou des pays où les syndicats souhaitent agir de cette façon, la négociation collective peut aller au-delà de l’inflation et de la productivité.

Il faut une plus grande coordination entre nous afin de gérer ce type de flexibilité; des lignes de conduite doivent être fixées et il faut les respecter.

Il convient pour ce faire de procéder à une évaluation commune des recommandations relatives aux salaires et aux déséquilibres économiques, publiées par la Commission avec ses tableaux de bord. Les institutions de l’UE ont proposé une coordination externe à laquelle nous devons nous opposer avec une stratégie syndicale autonome et partagée.

La réaction au tableau de bord (qui concerne 12 États membres, et même des économies fortes) doit venir de tout le mouvement syndical européen: les réponses doivent être coordonnées et le Comité de coordination de la négociation collective est le lieu idéal pour entamer une telle discussion.

2. Accords défensifs, clauses d’ouverture

Au cours des dix dernières années et en particulier après la crise, des affiliés de plusieurs pays ont négocié des accords défensifs tripartites ou bipartites au plan national, ou des contrats à clauses d’ouverture au niveau de l’entreprise, afin de sauvegarder l’emploi ou de soutenir la compétitivité.

Afin d’éviter les conséquences négatives de ces types d’accords en termes de dumping, nous pourrions avoir besoin de lignes de conduite qui pourraient être partagées entre les affiliés, par exemple:
- Eviter toutes les pratiques destinées à court-circuiter les syndicats; les conventions doivent être signées par des syndicats représentatifs quel que soit le lieu où ils existent, et pas seulement par des comités d’entreprise ou par des comités non mandatés par les travailleurs;
- Les accords défensifs devraient avoir pour but d’éviter les licenciements, de soutenir les investissements et l’innovation, de faire face aux effets de la crise, et pas de favoriser le dumping salarial ou la concurrence entre les travailleurs;
- Les possibles effets négatifs de l’accord visant à sauver des emplois devraient être temporaires et ne pas affecter le système général des négociations collectives et sa couverture dans le pays, le secteur ou l’entreprise impliqués;
- Les concessions faites par les syndicats doivent avoir une compensation claire et définie; le principe de « réciprocité » devrait être pris en compte;
- Les accords au niveau de l’entreprise devraient être intégrés dans des accords cadres de plus haut niveau, fixant clairement les limites inférieures à respecter par la négociation par concession au niveau de l’entreprise;
- Des procédures de contrôle des déviations devraient être créées par les partenaires sociaux, au niveau impliqué.

3. Salaire minimum et couverture de la négociation collective

La couverture des conventions collectives à tout niveau devrait être recherchée dans chaque pays. C’est l’instrument le plus approprié pour les syndicats pour assurer des salaires équitables et éviter le dumping social. Pour améliorer la couverture de la négociation collective, il est essentiel d’avoir un niveau élevé d’adhésion syndicale.

Dans les pays, les secteurs ou les entreprises où la négociation collective n’existe pas ou n’est pas assez forte pour assurer une couverture salariale négociée, décente et équitable pour la majorité des travailleurs, le salaire minimum légal et/ou la couverture erga omnes pourraient être des outils utiles.

Les salaires minimum et les mécanismes d’indexation, ainsi que la couverture des conventions collectives, doivent être préservés et renforcés là où ils existent déjà.

Le salaire minimum n’est pas un objectif en soi mais un instrument de lutte contre le développement du travail précaire et d’élévation de l’échelle des salaires.

La législation sur le salaire minimum devrait prévoir une participation spécifique des partenaires sociaux aux organes/consultations bipartites/tripartites avant l’adoption du salaire minimum par les pouvoirs publics.

La CES et les fédérations de l’UE devraient soutenir nos affiliés à tous les niveaux afin d’atteindre ces objectifs, en fonction de leur situation nationale.

Les différents régimes de salaire minimum et d’indexation erga omnes, la couverture des conventions collectives devraient être analysés au niveau technique au sein de la CES afin de mieux coordonner nos activités en la matière.

4. Accords transnationaux et transfrontaliers

Nos affiliés, en particulier au niveau transfrontalier et dans les pays d’Europe centrale et orientale, ont demandé avec insistance d’améliorer la coopération et la coordination des négociations dans les multinationales.

C’est un moyen important de prévenir le dumping social et la concurrence sur les salaires et d’aboutir à un rapprochement progressif des conditions de travail au sein de la même entreprise.

Cette question est du ressort des Accords d’entreprise transnationaux et sera examinée par un organe de coordination spécifique créé par la CES conjointement avec les FSE. L’examen devrait aussi impliquer les affiliés et fédérations nationaux, afin de soumettre une résolution spécifique au Comité exécutif dans un avenir proche.

Engagements et mesures pratiques

Les quatre principes mentionnés ci-dessus sont une première liste de propositions qui doivent être examinées de manière plus détaillée.

Il est possible que certaines organisations souhaitent appliquer certaines lignes directrices et que d’autres syndicats appliquent d’autres priorités. Il faut attribuer à chaque priorité des lignes directrices spécifiques.

Nous devrions entamer un processus de coopération renforcée, afin de renforcer nos positions et nos actions dans tous les domaines qui serviront de base à notre stratégie concernant un “nouveau type de coordination de la politique de la négociation collective”.

Il faudrait examiner et développer la possibilité de mettre en place des groupes régionaux informels destinés à renforcer la coopération et l’apprentissage mutuel entre les syndicats nationaux.

Le Comité de coordination de la négociation collective devrait élaborer ses méthodes de travail afin de travailler de manière plus efficace.

Une école d’été, avec une discussion générale et quatre groupes de travail, sera organisée afin de mieux analyser et définir les quatre principes et les lignes directrices que nous exposerons.

Tel sera le champ d’application du projet que nous allons soumettre à la Commission cette année dans le domaine de la coordination de la politique de la négociation collective.

En outre, il convient d’examiner de manière plus détaillée la manière d’appliquer la décision prise dans le cadre de la dernière décision du Comité exécutif sur la négociation collective en 2010, afin de mettre en place un Comité de direction au sein du Comité de coordination de la négociation collective.

Ce type de Comité de direction (qui existe déjà au sein d’autres comités permanents de la CES) ne serait pas un organe politique ou un organe de prise de décision, mais simplement un groupe de travail interne, qui aurait pour objectif de soutenir le travail du Comité de coordination de la négociation collective au plan technique.

Pour cela et afin d’éviter toute confusion avec le Comité de direction statutaire de la CES et les comités de direction élus au sein des autres comités permanents de la CES, il sera nécessaire de nommer différemment ce comité spécifique

Dans la dernière résolution, le Comité de direction a proposé d’impliquer uniquement les FSE, afin de renforcer la coordination au plan européen entre eux et la CES. Dans ce nouveau contexte, nous devons également envisager la participation de quelques représentants des affiliés nationaux, venant des principales régions où une meilleure coordination pourra être mise en œuvre.

Le nouveau nom et les critères de composition de ce comité seront définis par le Secrétariat, en accord avec le Comité de coordination de la négociation collective.

Cette décision ne devrait pas impliquer d’augmentation de coûts pour la CES.

Entre-temps, une série de mesures pratiques doivent être définies afin de:
- Améliorer la coopération entre les membres afin qu’ils apprennent les stratégies de négociation les plus efficaces les uns des autres;
- Encourager l’échange d’informations, afin de partager des priorités et des lignes directrices communes;
- Essayer d’impliquer dans le processus de coordination les personnes les plus appropriées en charge des négociations collectives chez les affiliés;
- Soutenir la création des activités de coordination entre les confédérations et les fédérations de ces pays et les zones régionales dans lesquelles elles n’existent pas;
- Encourager les FSE à améliorer leur coordination interne de la négociation collective avec les fédérations nationales dans chaque secteur et à travers les secteurs;
- S’assurer que la dimension européenne est prise en compte lorsque les affiliés poursuivent leurs objectifs en matière de négociations collectives (y compris, lorsque c’est possible, par la participation de la CES aux groupes régionaux en vue d’une meilleure coopération);
- S’assurer que la dimension de genre est prise en compte dans la négociation collective (par ex., les femmes sont inclues dans les négociations, les négociateurs sont formés aux questions d’égalité des genres etc.);
- Coordonner les questionnaires et les enquêtes annuels publiés par la CES, les FSE et les affiliés nationaux;
- Organiser des activités de formation communes avec les affiliés qui le demandent, concernant la politique de négociations collectives et notamment les questions techniques, par exemple, les indicateurs relatifs aux négociations salariales (inflation, productivité, etc.);
- Lancer des campagnes et des actions conjointes afin de diffuser les informations et d’aider les affiliés à se renforcer mutuellement dans le cadre de leurs activités en matière de négociations collectives.