Consultation des Partenaires sociaux européens sur le Livre Vert de la Commission européenne COM (2006) 708 final "Moderniser et renforcer le droit du travail pour relever les défis du xxième siècle"

Bruxelles, 20-21/03/2007

Introduction

Le 22 novembre 2006, la Commission européenne a présenté un Livre Vert intitulé "Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIème siècle". Par le biais de ce Livre Vert, elle souhaite "lancer un débat public dans l'UE afin de réfléchir à la manière de faire évoluer le droit du travail dans le sens de l'objectif de la stratégie de Lisbonne, à savoir parvenir à une croissance durable génératrice d'emplois plus nombreux et de meilleure qualité". Selon la Commission, la modernisation du droit du travail est l'une des principales conditions d'une capacité d'adaptation des travailleurs et des entreprises. Ce but doit être poursuivi, déclare le Livre Vert, à la lumière des objectifs de la Communauté de plein-emploi, de productivité de la main d'œuvre et de cohésion sociale.

Grâce à ce document présentant les points clés de sa position ci-jointe, la CES prend position sur le Livre Vert.

Remarque préliminaire

La Commission a entamé une consultation publique, par l'intermédiaire d'un site Internet et a annoncé une communication, dans le contexte du thème plus large de la flexicurité qu'elle développe actuellement avec les Etats membres. Les partenaires sociaux au niveau européen ont aussi été invités à répondre à cette consultation.

La CES souhaite exprimer son profond désaccord avec la procédure de consultation suivie par la Commission. Il ne fait aucun doute que le sujet de cette consultation est clairement au cœur du "domaine de la politique sociale" comme cela est mentionné dans l'Article 138 du Traité CE, et que donc les Partenaires Sociaux doivent être consultés d'une manière différente, et avec un poids différent du grand public, afin de leur permettre, dès les premières phases, d'influencer l'orientation des initiatives et d'exprimer leur intérêt à mener eux-mêmes des négociations.



Les points de vue clés de la CES sur le Livre Vert


1. La CES accueille chaleureusement la reconnaissance de la nécessité d'une augmentation de la protection du nombre croissant des travailleurs à travers l'UE bénéficiant de formes précaires d'emploi. Les travailleurs les plus vulnérables de l'UE disposent de plus en plus d'une couverture inadéquate, que ce soit par le biais de la loi ou en pratique, par le droit du travail et la sécurité sociale, ce qui conduit à des situations d'insécurité et d'exclusion sociale permanentes.
Cette situation n'est pas conforme avec l'un des objectifs de base de l'Union européenne, à savoir l'amélioration des conditions de vie et de travail de ses populations, ni avec l'agenda de Lisbonne qui vise un plus grand nombre et de meilleurs emplois, un chemin vers la croissance économique et l'emploi, et l'inclusion sociale, ce qui doit être abordé de toute urgence.


2. Toutefois, la CES est en profond désaccord avec le cadre analytique présenté dans le Livre Vert. Selon l'analyse de la Commission, le modèle traditionnel de relation de travail est désuet, parce que "trop protégé" et donc d'autres modèles de relations contractuelles devraient être développés. Le Livre Vert énonce qu'afin de réduire la segmentation, à savoir le fossé entre les "intégrés" et les "exclus", la flexibilité dans les contrats standards doit être améliorée. De plus, elle déclare que la protection contre le licenciement doit être affaiblie parce qu'elle réduirait le dynamisme du marché du travail et, de ce fait, les perspectives des femmes, des jeunes et des travailleurs plus anciens pourraient se détériorer. En d'autres mots, la Commission voit la flexibilité du droit du travail (dispositions contractuelles) comme l'instrument clé de la promotion de la capacité d'adaptation des travailleurs et des entreprises.
Selon la CES, cette analyse, simpliste et partiale, ne prend pas en compte de manière appropriée les recherches menées ces dernières décennies dans ce domaine et ne prête pas suffisamment attention à l'ensemble des éléments politiques nécessaires liés au bon fonctionnement du marché du travail et à l'intégration des groupes les plus désavantagés.


3. Pour la CES, l'hypothèse que le contrat à durée indéterminée est un concept désuet qui ne serait plus adapté au monde moderne est totalement inacceptable. Non seulement la grande majorité des relations de travail est toujours basée sur ce concept, mais ces derniers temps, les partenaires sociaux européens ont aussi réaffirmé que les contrats permanents étaient la norme. Et la CJE a confirmé, dans différents arrêts, que le droit à un contrat de travail à durée indéterminée et le principe d'égalité de traitement limitent la marge de manœuvre des Etats membres souhaitant "flexibiliser" le marché et le droit du travail. La CES n'accepte donc pas la nécessité d'un "autre modèle contractuel".

4. La CES se sent particulièrement concernée par le fait que le Livre Vert se concentre presque exclusivement sur la portée individuelle du droit du travail, et prenne peu en compte le droit du travail collectif. Pour la CES, les principes de bases du droit du travail qui se sont développés en Europe au cours des deux derniers siècles sont toujours valables. Le droit du travail est basé sur l'hypothèse qu'une relation de travail inégale entre le travailleur et son employeur existe, et offre donc au travailleur une protection, par le biais soit de législations, soit de conventions collectives (ou des deux). Dans la plupart des pays membres de l'UE, le droit du travail a évolué et se présente sous des formes diverses et variées.

Une modernisation du droit du travail ne peut être débattue sans prendre en compte le cadre réglementaire du pays concerné, et sans reconnaître les négociations collectives comme une source majeure du droit du travail.
Le double rôle des négociations collectives devrait être reconnu, à la fois comme "force réglementaire" (destinée à réglementer les relations contractuelles et de travail, ainsi que la flexibilité interne et externe dans un large éventail de domaines allant du temps de travail au travail temporaire, de l'organisation du travail à la réconciliation de la vie professionnelle, privée et de famille, etc.) et comme manière d'offrir un processus démocratique et participatif à la modernisation et aux changements.

5. Pour la CES, il est inacceptable que le Livre Vert considère le niveau de protection de l'emploi (ou LPE) comme l'élément le plus décisif de la "flexibilité au travail". Cela renie complètement les évolutions connues ces dernières décennies dans la majorité des organisations de travail, souvent soutenues par des conventions collectives, menant à différentes formes de flexibilité interne (dispositions sur le temps de travail, la flexibilité fonctionnelle, etc.)
De plus, comme l'a montré la recherche, et comme l'a reconnu l'OCDE, il n'existe aucune corrélation évidente entre le niveau de LPE et le niveau d'emploi (chômage), alors que la diminution de la protection de l'emploi pourrait affecter la confiance, la loyauté et l'investissement personnel dans la relation de travail de la part du travailleur, et affecter la volonté des entreprises d'investir dans les compétences et la formation de leur main d'œuvre, et donc nuirait à l'objectif d'une productivité et d'une innovation accrues des entreprises.
Finalement, la CES n'est pas d'accord avec l'analyse énonçant le fait que les opportunités professionnelles offertes aux "exclus" augmenteront vraiment si les droits et la protection des intégrés sont réduits. Selon elle, il y a plus de raisons de s'attendre à l'effet inverse. Réduire la LPE/protection contre le licenciement augmentera les inégalités, et pourrait transformer les "intégrés" en "exclus" potentiels, tout en ne réduisant pas le nombre d'"exclus". Dans le même temps, cela aura des effets néfastes sur la performance économique en termes de consommation et de productivité du travail. Un niveau approprié de sécurité de l'emploi est nécessaire dans l'intérêt de la capacité de l'économie à innover.

6. La CES et ses membres souhaitent développer des dispositions renforçant la position des travailleurs en situation de transition d'un emploi à un autre sur le marché du travail. Ils sont favorables à une plus grande concentration sur les politiques actives sur le marché du travail (PAMT) combinées à des systèmes d'allocation chômage, favorisant ainsi la réintégration. Il existe une excellente raison de demander une meilleure adaptation de la sécurité sociale et des systèmes de retraite aux diverses transitions sur le marché du travail. Des mesures destinées à promouvoir la formation et la formation tout au long de la vie et la réconciliation des vies professionnelles, privées et de famille sont d'égale importance. Toutefois, la CES n'est pas convaincue que des mesures incitatives destinées à ce marché du travail de transition devraient être recherchées dans la "flexibilisation" du droit du travail.
Bien que la Commission donne au droit du travail le rôle de "promouvoir la flexicurité", la CES n'accepte pas le concept de flexicurité présenté dans le Livre Vert, dans lequel une notion particulièrement limitée de la flexibilité (principalement centrée sur la flexibilité contractuelle) et une notion tout aussi limitée de la sécurité (améliorer l'employabilité par le biais de la formation et de politiques actives sur le marché du travail) sont utilisées.

7. La CES souhaite rappeler à la Commission la compétence limitée de l'UE en matière de droit du travail et de sécurité sociale et la nécessité de respecter l'autonomie des partenaires sociaux nationaux.
De plus, il faut souligner qu'une réelle "modernisation" et des modèles originaux et équilibrés de "flexicurité", quel que soit le pays d'où ils proviennent, ont toujours été le fruit de négociations entre les partenaires sociaux à différents niveaux et ne peuvent, ni ne devraient être introduits de manière descendante à partir de l'UE. La Commission doit clairement reconnaître et respecter cela, lorsqu'elle tente de développer des politiques et des stratégies destinées à diriger les efforts en matière de réformes des Etats membres.
Dans le même temps, la Commission peut et doit agir, conformément au Traité, la Charte sociale et la Charte des Droits fondamentaux, entre autres, pour assurer des conditions de travail équitables et justes à tous les travailleurs sur le territoire de l'UE, assurer le respect des droits fondamentaux et combattre la discrimination, prévenir la concurrence déloyale aux dépens de la santé et de la sécurité des travailleurs et promouvoir le dialogue social.

8. Pour la CES, les évolutions suivantes sont problématiques pour le droit du travail au XXIème siècle :

a. ans un certain nombre d'Etats membres, des stratégies du patronat ou des réformes délibérées du droit du travail ont conduit à la création d'un marché du travail à deux vitesses sur lequel un nombre, en constante augmentation, de travailleurs - et souvent les groupes les plus vulnérables de travailleurs, tels que les femmes, les jeunes et les travailleurs migrants - travaillent dans des conditions de précarité constante.
b. eux que l'on appelle aussi les travailleurs "standards" n'ont pas non plus échappé à l'accroissement de la pression exercée par la mondialisation, et ont fait face à une "flexibilisation" du temps de travail, des salaires et autres dispositions contractuelles.
c. Des changements dans les méthodes de production, de l'organisation du travail, de l'extension de la sous-traitance et de l'externalisation et la manière dont les entreprises contournent, de nos jours, les lois et la prise de contrôle des entreprises par le capital financier, créent une insécurité, non seulement pour les groupes de travailleurs les plus marginaux à la périphérie, mais aussi, de plus en plus, pour les travailleurs "standards" dans les entreprises de base, qui font face à des restructurations et des licenciements collectifs.

d. Dans bien des pays, les négociations collectives et la prise en compte des conventions collectives sont menacées d'érosion, ce qui s'ajoute à la précarisation du travail et des travailleurs.
e. L'augmentation de la mobilité transfrontalière des travailleurs, des entreprises et des services dans une Union européenne élargie met à mal la capacité des systèmes nationaux de relations sociales et industrielles destinés à maintenir des conditions de travail et de vie justes et équitables pour les travailleurs sur leur territoire dans un contexte de situation comparable et de concurrence loyale.

La CES est convaincue que ces défis montrent la nécessité d'une action urgente visant à renforcer la capacité du droit du travail dans toutes ses dimensions, à la fois au niveau national et de l'UE, pour faire face au monde du travail moderne, tout en offrant des conditions et des normes du travail décentes et équitables à tous les travailleurs au sein de l'UE.

9. Dans la position ci-jointe, la CES souligne donc la nécessité de, premièrement, combler le fossé entre les "intégrés" et les "exclus" sur le marché du travail en améliorant la protection dont bénéficient les travailleurs, lutter contre leur exclusion d'une véritable couverture du droit du travail et contre leur emploi et leurs conditions de travail précaires.

Les actions suivantes sont proposées :
a. Investir dans un meilleur respect des législations nationales et du droit européen du travail en vigueur et, lorsque cela s'avère nécessaire, recentrer le domaine d'application du droit du travail afin de s'assurer qu'il couvre, de manière adéquate, à la fois dans la loi et en pratique, l'ensemble des travailleurs, bénéficiant de relations de travail subordonnées tel qu'il est censé couvrir, comme cela a été recommandé par l'OIT dans sa Recommandation de 2006 sur le domaine d'application de la relation de travail ; cela inclurait la promotion de la transformation des emplois "flexibles"/précaires en emplois réguliers.
b. Traiter les causes réelles de la segmentation, telle que l'inégalité entre les hommes et les femmes et le manque de politiques de soutien de l'équilibre entre vie professionnelle et vie de famille ;
c. Etendre la protection aux nouvelles formes d'emploi (dépendant), en étudiant le développement d'un "socle de droits", qui offrirait à l'ensemble des travailleurs, sans prendre en compte le statut de leur emploi, un éventail de droits essentiels incluant le droit à la liberté d'association et aux négociations collectives.

10. Deuxièmement, la CES demande aux autorités nationales et communautaires de soutenir activement la modernisation et le renforcement du rôle des négociations collectives et des systèmes forts de relations industrielles.

11. Troisièmement, la CES réitère le fait que la capacité des travailleurs à affronter les changements doit être améliorée en investissant dans des formes de protection offrant aux travailleurs une sécurité tout au long de leur parcours professionnel, telles que les politiques actives sur le marché du travail combinées à des systèmes d'allocations chômage, de sécurité sociale et de retraite adaptés aux transitions sur le marché du travail, aux opportunités de formation et de formation tout au long de la vie pour tous les travailleurs, ce qui inclut les travailleurs "atypiques" et une meilleure réconciliation des vies professionnelles, privées et de famille. Un investissement dans un partenariat et un engagement social forts de la part des gouvernements est nécessaire pour assurer un éventail équilibré de mesures.

12. Quatrièmement, selon la CES, le(s) "marché(s) émergent(s) du travail européen(s)" ne peu(ven)t pas être géré(s) en comptant uniquement sur des réglementations nationales alors que, dans le même temps, les règles du marché interne et les règles en matière de concurrence interfèrent de plus en plus avec l'autonomie nationale dans les politiques sociales. La CES demande donc aux institutions de l'UE, avec l'aide des partenaires sociaux au niveau de l'UE, de développer un cadre juridique de soutien au sein de l'UE, comprenant une combinaison de "règles du jeu" de l'UE et de certaines normes minimales de l'UE. Ce cadre doit aussi clairement contenir des règles relatives au respect de la politique sociale et des relations industrielles nationales, ainsi que des règles assurant le droit aux syndicats d'organiser une force d'équilibre et une action syndicale dans des situations transnationales.

13. En ce qui concerne d'autres domaines d'action de l'UE, la CES considère les priorités suivantes :

a. Des mesures destinées à améliorer les possibilités de réconciliation des vies professionnelles, privées et de famille, comme cela a été recommandé dans la position de la CES datée de décembre 2006 en réponse à la consultation de la Commission à ce sujet.

b.Une Directive concernant le travail temporaire forte offrant des normes européennes minimales en ce qui concerne le travail temporaire en complément de la Directive sur le détachement. La CES, insiste donc sur le fait que l'égalité de salaire, par rapport à l'entreprise utilisatrice, fait partie intégrante de la Directive.

La clarification du statut professionnel des travailleurs intérimaires devrait être incorporé aux prochaines phases de ce débat.
De plus, un instrument européen réglementant la responsabilité conjointe et solidaire (ou "responsabilité en chaine") de l'entreprise utilisatrice et intermédiaire, dans le cas du travail temporaire et de la sous-traitance, devrait être proposé.

c. Un éventail clair de règles européennes minimales de sauvegarde de la santé et de la sécurité des travailleurs, relatives au temps de travail, mettant en place des normes claires en matière de temps de travail maximum et de repos minimum destinées à garantir un seuil en matière de concurrence et offrant aux travailleurs à travers toute l'Europe une protection claire et non ambiguë sans possibilité de renonciation. La CES est donc en désaccord avec l'insertion de la question du temps de travail dans le Livre Vert.
Elle fait référence à ses positions relatives à la Directive sur le Temps de Travail adoptée depuis 2003 et réitère son soutien aux résultats de la première lecture au Parlement européen.
Donc, la CES appelle la Commission et les Etats membres à suivre la position du PE lorsqu'ils travailleront à un compromis concernant la révision de la Directive du Temps de Travail.

d. Des définitions plus convergentes du terme "travailleurs" pour une meilleure cohérence et un meilleur respect des Directives de l'UE. Toutefois, cela devrait, en premier lieu, être soutenu par le biais du développement de critères et de lignes directrices communes en ce qui concerne la définition des termes "travailleurs" et "emploi indépendant", comme cela a été recommandé par l'OIT en 2006.

e. Un respect plus important et plus efficace du droit du travail et des normes en matière de travail en vigueur pour lutter contre le travail non-déclaré, un rôle plus important de l'UE dans la promotion d'une plus large et meilleure coopération et coordination entre l'inspection du travail et l'inspection sociale nationales, par exemple en établissant une sorte de "socio-pol" européenne.

f. Une lutte contre une économie informelle croissante et, plus particulièrement, contre l'exploitation professionnelle des travailleurs migrants (clandestins), en se focalisant sur des instruments et des mécanismes de prévention et de lutte contre l'exploitation des travailleurs migrants, incluant la reconnaissance et le respect des droits fondamentaux de l'Homme et du travail des migrants clandestins, au lieu de compter sur la répression et l'expulsion.

Conclusion

La CES recommande vivement que la Commission, dans sa communication plus tard cette année, faisant suite au présent Livre Vert, révise son cadre analytique et réponde aux positions de la CES au regard des questions susmentionnées avec pour objectif la modernisation et le renforcement du droit du travail afin de relever les défis du XXIème siècle.

- Communiqué de presse