Evaluation de la CES du Programme de travail 2016 de la Commission européenne

Evaluation de la CES du Programme de travail 2016 de la Commission européenne​  

Position de la CES, Comité Executif du 16-17 December 2015

Introduction

Ce document présente une évaluation de la CES du Programme de travail 2016 de la Commission européenne (CE) « L’heure n’est plus à une gestion conventionnelle ».

Le programme de travail souligne la priorité accordée par la Commission à des changements législatifs qui pourraient avoir un impact direct sur l’emploi et la croissance, sur notre environnement et notre bien-être social. La CES demande que les partenaires sociaux soient régulièrement consultés sur les actions de l’Union européenne ayant un impact direct ou indirect sur l’emploi et en particulier avant l’adoption du programme de travail de la CE.

La Commission prend des mesures pour avancer une série de propositions : conseils de la compétitivité, macro-conditionnalité dans les fonds européens, un comité budgétaire européen, etc., qui renforceront la gouvernance économique.  Dans un même temps, la Commission reste malheureusement vague sur la mise en pratique d’idées telles que « L'Europe Sociale Triple A » ou « Un pilier européen des droits sociaux. Toutefois, pour trouver un équilibre entre la dimension économique et sociale, il est nécessaire de préciser les droits des travailleurs et les principes sociaux, que la gouvernance économique européenne ne peut transgresser. Il est hors de question d’avancer en matière de gouvernance économique, tandis que le pilier social est toujours en discussions et pourrait finir par être bloqué.

Le pilier européen des droits sociaux est actuellement un engagement vague.  Il faudrait également énoncer de manière claire que le pilier social et la dimension sociale devraient s’appliquer dans toute l’Union européenne, et pas seulement dans l'Union économique et monétaire. En outre, les propositions faites sont toujours très vagues par rapport aux actions concrètes à entreprendre et d’autres, comme dans le domaine de la santé et de la sécurité sont absentes. Nous exhortons également la Commission d'adopter en particulier une stratégie sur l'égalité des genres pour les années 2016-2020, sur la base de la recommandation claire du Parlement européen et du conseil EPSCO.  

Si la Commission est sérieuse quant à la relance du dialogue social et à la valorisation de notre rôle, la CES devrait, tout comme les employeurs, pouvoir intervenir de façon marquante dans l’élaboration des politiques et des instruments destinés à générer croissance et emplois. Nous sommes dès lors inquiets qu’il n’y ait, dans tout le document, aucune proposition sur le nouveau départ du dialogue social hormis une référence à un « dialogue amélioré » avec les partenaires sociaux dans le contexte de l’achèvement de l’UEM. Aucune référence à la participation des partenaires sociaux au Semestre européen ni à la nécessité de stimuler le renforcement des capacités.

Totalement absent également, tout le domaine de l’information, de la consultation et de la participation des travailleurs alors que la CES compte sur un renforcement de la participation des travailleurs, tant au niveau de l’entreprise (information et consultation, comités d’entreprise européens, etc.) qu’au niveau du conseil de surveillance en Europe. La CES s’étonne qu’aucune des trois initiatives en préparation (la révision des comités d’entreprise européens, le cadre de qualité en matière de restructuration et la prochaine phase de consultation des partenaires sociaux sur les trois directives concernant l’information et la consultation) ne soit mentionnée dans le programme de travail.

De plus, la CES est globalement très critique face au petit nombre de propositions présentées par la Commission dans le domaine social. Et les propositions qui sont faites restent très vagues quant aux actions concrètes qui doivent être entreprises tandis que d’autres, comme celle relative au domaine de la santé et de la sécurité, ne sont même pas évoquées.

Le programme de travail de la Commission pour 2016 est fermement arrimé aux principes de réglementation intelligente ; les annexes reprennent les initiatives REFIT, une liste d’abrogations prévues, une liste de retraits ou de modifications de propositions en suspens ainsi qu’une liste de propositions prioritaires en attente. Bien qu’il n’y ait pas de nouvelles propositions de retraits ou d’abrogations dans le domaine social, la CES s’inquiète de l’accent mis sur l’agenda Mieux légiférer.

La CES s’inquiète du fait que la Commission continue à contourner l’article 155 du TFUE et l’obligation qui lui est faite de présenter au Conseil les accords auxquels sont parvenus les partenaires sociaux européens (tel que l’accord pour le secteur de la coiffure). Cette inquiétude concerne toute tentative de dresser de nouveaux obstacles à l’adoption d’accords des partenaires sociaux, par exemple en lançant des analyses d’impact ou des processus de consultation.

Le programme de travail fait référence à l’accord interinstitutionnel (AII) qui doit être finalisé à la fin de l’année 2016 (priorité 10. Une Union du changement démocratique). La CES déplore le secret et le manque de transparence des discussions entre les trois institutions. La CES demande que les discussions aboutissent à un AII qui comprend l’engagement de donner une législation de qualité aux citoyens européens avec pour objectif premier le renforcement du processus législatif démocratique afin de conférer davantage de légitimité aux règlements de l’UE. Au lieu de la considérer comme un fardeau, l’AII doit adopter une approche positive de la réglementation et se concentrer davantage sur sa mise en œuvre et son application. Il est essentiel que l’accord ne conduise pas à un affaiblissement des droits existants des travailleurs ou empêche de nouvelles améliorations de la législation sociale.

Contrairement aux promesses de la CE, les propositions du chapitre « Un nouvel élan pour l’emploi, la croissance et l’investissement » sont décevantes. Le programme de travail mentionne simplement que le plan d’investissement est sur les rails mais il s’arrête là. Il semble qu’il ne soit pas question d’évaluer ce plan, même pas à la lumière de nouveaux développements tels que la crise qui s’installe dans les marchés émergents, ni compte tenu de l’épargne excessive que la zone euro continue à enregistrer sous forme d’un excédent considérable de sa balance courante qui atteint aujourd’hui près de 400 milliards d’euros. La CES réclame un plan d’investissement renforcé mettant l’accent sur un volume d’investissement plus important mais aussi sur des investissements nouveaux et supplémentaires. Il faut insister sur le rôle de l’investissement public tout comme sur la nécessité d’affecter cet investissement à une saine politique industrielle européenne, à l’innovation et à la recherche, à l’éducation et à la formation et à la création d’emplois de qualité, et sur l'égalité des genres. En outre, il faudrait souligner l'importance des investissements supplémentaires par les pays excédentaires au plan du président Jean-Claude Juncker, dans un esprit de solidarité et de responsabilité.

La mise en œuvre de la garantie pour la jeunesse est loin d’être achevée dans les États membres et la Commission garde le silence sur son soutien financier à partir de 2017. La CES s’assurera que cette mesure ne sera pas enterrée sans avoir bénéficié aux jeunes chômeurs comme elle était supposée le faire. De plus, la CES s’oppose à ce que la garantie pour la jeunesse soit une mesure ponctuelle et unique. Nous voulons que cette garantie soit mise en place en tant que mesure structurelle à long terme afin de mieux aider les jeunes à entrer sur le marché du travail. 

La Commission se dit déterminée à faire de l’agenda pour de nouvelles compétences une priorité de son programme de travail pour 2016. Cependant, la Commission reste vague lorsqu’il s’agit de définir le contenu exact de cette initiative. Elle envisage d’introduire des mesures pour réduire le nombre de personnes peu qualifiées (en particulier parmi les adultes et les jeunes en décrochage scolaire) par le biais d’une possible « certification des compétences et des qualifications ». La CES estime cette approche positive et s’assurera que cette mesure soit conçue pour garantir aux personnes peu qualifiées un meilleur accès aux opportunités de formation et ainsi améliorer leur employabilité. Dans le même temps, la CES dénonce le manque d'initiative en matière de compétences moyennes ou élevées, ainsi que dans l’enseignement supérieur, surtout lorsqu’il s’agit de l'alignement des compétences avec les évolutions de l'économie et du marché du travail (par exemple, la numérisation, l'économie verte, etc.).  La CES insiste sur la responsabilité des gouvernements et des employeurs pour, avec les employés, organiser et financer cette amélioration des compétences.

La proposition de la Commission relative au paquet mobilité reste peu claire. La Commission a annoncé que le paquet serait publié début décembre mais l’initiative a maintenant été reportée à janvier/février et aucune proposition concrète de la CE n’est encore disponible. Des inquiétudes persistent, en particulier dans le cadre des négociations avec le Royaume-Uni, à propos d’un possible affaiblissement du droit à la libre circulation et à l’égalité de traitement que pourrait cacher le paquet et qui serait mis en place au prétexte de lutter contre les abus.

Le programme de travail de la Commission annonce une « révision ciblée » de la directive sur le détachement des travailleurs dans le cadre du paquet mobilité. La CES fait depuis longtemps état de ses graves inquiétudes quant au fait que cette directive, autrefois considérée comme un instrument clé pour prévenir la concurrence déloyale, est de plus en plus détournée pour saper les droits des travailleurs et diminuer le montant des cotisations de sécurité sociale. Une révision devrait selon nous s’attacher tout d’abord à donner une définition correcte de l’égalité de traitement qui ne couvre pas seulement le détachement mais plus généralement toutes les composantes de la législation européenne à ce sujet. En outre, la CES réclame le renforcement et l'adaptation correcte des dispositions de la directive pour plusieurs autres aspects, comme la durée du détachement, la nécessité de lutter contre les abus, et l'exclusion des agences intérimaires du champ d’application de la directive.  L’élément central de cet exercice doit être de doter la directive de la capacité de protéger adéquatement les travailleurs et de garantir une concurrence loyale au sein du marché unique. Égalité de traitement, respect des systèmes nationaux de relations industrielles et sociales et des conventions collectives et leur application sont des questions essentielles à cet égard.