Bruxelles, 05-06/06/2012
Suite aux résultats des dix-septièmes négociations climatiques internationales de Durban (COP 17) en décembre 2011, les négociateurs climatiques mondiaux travaillent actuellement sur les éléments d’un futur accord climatique mondial qui devrait être conclu pour 2015 et mis en application pour 2020.
Les négociations à Durban ont permis de sauver le processus climatique de l’ONU, ouvrant ainsi la voie à un tour final de discussions portant sur trois questions clés pour le mouvement syndical :
une seconde période d’engagement pour le Protocole de Kyoto qui expirera en décembre 2012 ;
la plate-forme de Durban qui est composée de deux éléments. Tout d’abord, un plan de travail sur l’ambition accrue et, ensuite, la négociation d’un nouvel accord juridiquement contraignant applicable à tous, à finaliser pour 2015 et à mettre en application d’ici 2020 ; et
la poursuite du travail sur les composants clés des Accords de Cancún (2010) à savoir : la réduction des émissions globales afin de maintenir la hausse moyenne des températures sous les 2°C, une transition juste prévue dans les mesures de riposte, des mécanismes de marché pour accorder des réductions de CO2, la mobilisation de davantage de fonds pour les pays en voie de développement afin qu’ils puissent entreprendre des actions efficaces de plus grande envergure, et la mise en place d’institutions pour réaliser ces objectifs.
Pour la Confédération européenne des syndicats (CES), même si nous accueillons positivement la plate-forme de Durban et reconnaissons que l’UE s’est montrée responsable et unie, tout retard dans la conclusion d’un consensus international augmente les coûts éventuels (économiques, sociaux et environnementaux) et réduit les chances de maintenir les températures mondiales à un niveau sans danger.
Contrairement aux autres régions industrialisées du monde (y compris le Canada, qui s’est malheureusement retiré du Protocole de Kyoto immédiatement après la fin des négociations), l’Europe a assumé ses responsabilités à Durban en acceptant de continuer à réduire ses émissions de CO2 au cours d’une seconde période d’engagement du Protocole de Kyoto, bien qu’il ne concernera que 14 % des émissions mondiales. Malgré cela, le 1er mai 2012, l’UE a proposé de s’engager pour une période de 8 ans – en accord avec la stratégie Europe 2020 – à étendre ses obligations en vertu du Protocole de Kyoto et à dès lors diminuer de 20 % ses émissions de gaz à effet de serre (par rapport aux niveaux de 1990). La CES souligne que cet engagement, qui représente principalement un statu quo suite à la crise économique, n’est pas suffisamment ambitieux.
{{Inquiétude de la CES quant au choix du Qatar pour accueillir la COP18
}}Les travailleurs migrants, qui représentent une majorité de 94 % des travailleurs au Qatar, ne disposent pas des droits basiques du travail et de l’homme, sont systématiquement exploités, travaillent souvent dans des conditions dangereuses pour la santé, et peuvent être licenciés s’ils forment un syndicat. Par exemple, le Qatar a refusé de ratifier la Convention 87 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Le Qatar est également le plus grand émetteur de CO2 au monde par habitant et a entravé les négociations climatiques.
Comme dans toutes leurs relations externes, la CES demande que l’UE et les États membres soulèvent ces préoccupations avec les hôtes qataris et s’assurent que l’importance des droits de l’homme (y compris les droits des travailleurs), de la transition juste et du travail décent soit au centre de leur dialogue avec l’équipe organisatrice de la COP 18.
Afin d’instaurer la confiance des mouvements syndicalistes et sociaux par rapport à la présidence du sommet par le Qatar, il est nécessaire que le pays s’engage publiquement à respecter la transition juste et le travail décent, par la signature des conventions de l’OIT relatives à ce sujet et la garantie d’une participation active de la société civile à la COP 18.
{{Réclamations internationales : une transition juste doit être accompagnée d’un accord-cadre contraignant et ambitieux
}}La CES est toujours fermement déterminée à ce qu’un accord mondial, équitable, juridiquement contraignant et ambitieux voit le jour sous la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). En accord avec les recommandations du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), la CES soutient les réductions des émissions de gaz à effet de serre pour les pays développés (y compris l’UE) d’au moins 25 à 40 % pour 2020 et de 80 à 95 % pour 2050, par rapport aux niveaux de 1990, afin d’éviter une augmentation de la température mondiale de plus de 2°C d’ici 2100. La version finale de l’accord de l’ONU doit inclure des dispositions pour une « transition juste pour la population active, et la création de formes de travail décentes et des emplois de qualité » présentées dans les décisions de l’ONU prises à Cancún (2010) et à Durban (2011). Ces points devraient demeurer au centre des négociations au sein de la « plate-forme de Durban ».
Fondamentalement, ni les travailleurs, ni l’environnement ne peuvent se permettre d’attendre jusque 2015 pour que soient prises des actions concrètes visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, ainsi que des politiques et mesures nécessaires pour anticiper et gérer les répercussions sur le marché du travail et dans la société. Dès lors, la CES réclame un mandat pour que l’Organisation internationale du travail puisse débuter l'opérationnalisation et la mise en œuvre de l’engagement pour une transition juste et un emploi décent repris dans l’accord de Cancún (2010) et répété à Durban.
Le principe des « responsabilités communes mais différenciées » doit tenir compte des émissions historiques ainsi que des émissions mondiales variables. La CES soutient l’UE lorsqu’elle réclame des objectifs clairs de la part des pays émergeants à propos de la réduction de leurs émissions conformément aux recommandations du GIEC.
Le plan de travail sur l’ambition accrue doit envisager des efforts d’atténuation supplémentaires avant et après 2020.
Tout nouveau mécanisme de marché, basé sur la mise en œuvre conjointe ou le mécanisme de développement propre, doit fournir un avantage réel en termes de développement durable, à la fois pour l’environnement et pour les populations et travailleurs dans les pays hôtes. Dès lors, la CES réitère sa position selon laquelle des mécanismes flexibles ne peuvent pas représenter davantage qu’un instrument complémentaire accompagné de mesures locales pour respecter les promesses de réduction des émissions globales. La CES recommande en conséquence que les futurs mécanismes de marché prévoient que les projets soient systématiquement soumis à une procédure d’accord par les autorités publiques nationales et que la liste des critères d’évaluation soit élaborée au niveau européen afin de s’assurer d’une situation équitable dans toute l’Europe. La liste des critères devrait comprendre :
l’engagement par le promoteur de projet à respecter les principes des lignes directrices de l’OCDE à l’intention des multinationales et les conventions de l’OIT ;
la durabilité sociale, s’appliquant à l’emploi (nombre d’emplois créés, développement des compétences, qualité de l’emploi), l’équité et l’accès aux services essentiels, comme les services énergétiques ;
l’implication des organisations syndicales dans les pays d’accueil et d’origine pour la procédure d’approbation des projets.
Suite à la création formelle du fonds vert pour le climat lancé à Copenhague et structuré à Durban, la CES appelle l’UE à s’assurer que l’argent disponible pour ce fonds pour la période 2013-2020 atteignent bien les $100 milliards sur base annuelle à partir de 2020. L’Europe doit engager des fonds pour cette période, un tiers du moment total nécessaire. Cet engagement doit s’ajouter aux responsabilités des États membres de l’UE à consacrer 0,7 % de leur PIB à l’aide au développement pour lutter contre la pauvreté, et non les remplacer.
{{Mettre en pratique une transition juste en Europe
}}La CES a toujours et de façon constante appelé à l’adoption d’une feuille de route de transition juste pour accompagner les objectifs et stratégies de l'UE en matière d’énergie et de changement climatique. Le 19 avril 2012, la Commission a publié sa communication intitulée « Vers une reprise génératrice d’emplois » (COM (2012) 173), qui comprend une proposition incluant un ensemble d'actions déterminantes pour l'emploi dans le domaine de l'économie verte.
La CES se félicite de l'initiative, mais est déçue par l'absence d'engagements clairs et d’actions pour assurer une gestion socialement responsable et une anticipation du changement induit par la politique climatique et énergétique et par les effets du changement climatique et par l'utilisation des ressources sur nos économies. La communication est extrêmement vague à cet égard, elle se montre peu ambitieuse et elle ne reflète pas l'impact négatif de la crise économique sur le prix du carbone et par conséquent sur les investissements et les recettes.
La Communication est faible sur l’importance de l’adaptation, qui nécessitera des investissements dans les services publics, tels que la gestion de l’eau, la protection des côtes, les soins de santé, la planification urbaine et la préservation de l’environnement. Elle dispose aussi d’un potentiel pour créer de l’emploi. Il faut consacrer de toute urgence davantage d’attention à l’adaptation car la crise économique en cours affaiblit la préparation de l’Europe aux conséquences des changements climatiques.
S'appuyant sur la réponse de la CES au Livre vert sur l'anticipation et la gestion du changement (résolution de la CES de mars 2012) et la réponse générale de la CES au Paquet emploi (résolution de la CES de juin 2012), et en vue d’établir une feuille de route européenne de transition juste, la CES estime que 5 éléments devraient être utilisés comme fondations :
{{Participation
}}L'ampleur des changements qui sont nécessaires pour arriver à une réduction de 80-95% des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050 exige un engagement fort de toutes les parties de la société européenne. Le dialogue social, la négociation et la participation sont des valeurs et outils fondamentaux qui sous-tendent et concilient la promotion de la cohésion sociale, la qualité de l'emploi, la création d'emplois et davantage d'innovation et de compétitivité des économies européennes. Ce n’est que grâce à une participation des travailleurs plus cohérente et plus forte que le changement pourra être géré d'une manière socialement acceptable, que la confiance pourra être alimentée et que des politiques d'anticipation pourront se développer. Les actions proposées par la Commission étant très limitées à cet égard, la CES réclame :
Un cadre juridique en Europe pour l'anticipation et la gestion du changement (résolution de la CES, mars 2012) ;
Le suivi de la première réunion de haut niveau du dialogue social sur l'emploi et le climat (qui s’est tenue le 13 mai 2011), réunissant tous les départements concernés de la Commission ;
Des organes tripartites équivalents au niveau national dans tous les États membres ;
Des feuilles de route sectorielles dans les domaines prioritaires tels que l'approvisionnement en énergie, les industries intensives en énergie, le transport routier, la construction et l'efficacité énergétique domestique, élaborées en collaboration avec les partenaires sociaux sectoriels traçant la voie vers les objectifs de 2050, avec des objectifs intermédiaires ;
La participation des travailleurs dans le domaine des activités de R&D de l’UE (par exemple la composition des conseils d’administration des plates-formes technologiques européennes, les PPP en matière de R&D, etc.) ;
L’extension des droits d'information et de consultation aux représentants des travailleurs, afin de garantir les droits liés à l'environnement, à la mobilité durable, à l'énergie et à l’utilisation des ressources sur leur lieu de travail.
{{h. Création et maintien d'emplois
}}Comme il en ressort de la situation actuelle de l'emploi, l'Europe a un besoin urgent de créer un nombre significatif de nouveaux emplois dans des entreprises et des secteurs durables. Des emplois « verts » et décents peuvent être créés grâce à des investissements nationaux dans les (nouvelles) technologies à faible niveau de carbone, dans la R&D et l'innovation, ainsi que par le transfert de technologies. Avec l'impact des mesures d'austérité, le bas prix du CO2 (qui est actuellement de 8 €/CO2T) va retarder et compliquer les investissements nécessaires pour soutenir la transformation des industries, promouvoir la modernisation des infrastructures, et par conséquent permettre la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Pour la CES, tous les emplois qui contribuent à un développement écologiquement durable sont des emplois verts, et par conséquent, nous nous félicitons de la large définition de ce type d’emplois adoptée par la Commission, le Conseil Emploi, Politique sociale, Santé et Consommateurs (EPSCO) et la Communication de la Commission. Elle englobe tous les secteurs et industries couvrant tous les travailleurs ; non seulement les emplois dans les nouveaux secteurs émergents, tels que les énergies renouvelables, la gestion des déchets et les services de protection de l'environnement, mais aussi la transformation et la création d'emplois dans les secteurs existants à mesure qu'ils deviennent « plus verts ». Pour la CES, c'est la qualité ainsi que la quantité d'emplois qui sont cruciales – les emplois doivent être au minimum conformes aux normes de l'OIT sur le travail décent. Une feuille de route pour une transition juste est par conséquent liée aux mesures à prendre du côté de la demande, telles que :
Une intervention européenne est nécessaire de toute urgence pour assurer un signal fort sur le prix du carbone (par exemple en recourant à des mécanismes de jachère). En plus du marché du carbone, la taxation du carbone devrait être utilisée comme un moyen de régulation du signal du prix qui ne devrait pas être laissé qu’au marché. Elle devrait se faire dans des conditions qui assurent la justice sociale ;
Le risque de fuites de carbone d’Europe augmentera si l’Europe continue à stagner. C’est l’une des raisons pour laquelle la CES estime qu’il est essentiel de réformer sans attendre le système d’échange européen (ETS) (y compris les mesures d’ajustement aux frontières en dernier ressort) et d’aborder les pratiques commerciales déloyales ;
Un agenda fort et cohérent pour la politique industrielle européenne dans tous les domaines avec une forte dimension sociale, comprenant l'implication des travailleurs. L’analyse de la compétitivité ne devrait pas se faire aux dépens des progrès sociaux ou environnementaux ;
L’adoption du projet de directive sur l’efficacité énergétique garantissant de hautes ambitions, telles qu’au moins 20 % d'augmentation de l'efficacité énergétique et d’économie d’énergie en Europe d'ici à 2020, avec des objectifs contraignants nationaux et européens et des audits énergétiques obligatoires. Bien qu’il ne soit pas aussi ambitieux que souhaité, la CES réclame un soutien politique pour la proposition initiale de la Commission d’un taux de rénovation annuel contraignant de 3 % pour les bâtiments publics ;
La promotion de la fabrication en circuit fermé et d'une économie circulaire, par la révision de la directive relative à l’éco-conception pour y inclure des critères d'efficacité des ressources, une meilleure mise en œuvre et une application plus stricte de la législation européenne sur les déchets ;
Un programme d'investissement est nécessaire de toute urgence pour créer des emplois à court terme dans toute l’Europe et rendre l’économie plus verte en assurant la compétitivité à long terme grâce à la promotion de la transformation et de la décarbonisation des infrastructures énergétiques et de transport, ainsi que de l’indépendance énergétique.
{{Assurer le verdissement de la formation, de l'éducation et des compétences
}}Les stratégies actives, menée par les gouvernements, en matière d’éducation / formation et de compétences sont fondamentales dans la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, utilisant efficacement les ressources, comme le reconnaît la Commission dans ses propositions. L'égalité d'accès à l'éducation et à la formation continue est essentielle pour répondre aux circonstances changeantes dans lesquelles les citoyens se retrouvent et leurs aspirations d'une part, et aux besoins du marché du travail de l'autre. La CES considère que tous les travailleurs devraient avoir un accès égal à l'éducation et à la formation à tous les niveaux, quels que soient leur âge, leur sexe, leur statut d'emploi ou encore leur nationalité, et en particulier les groupes qui participent faiblement au marché de l’emploi, comme les travailleurs peu qualifiés, les travailleurs âgés et les travailleurs à contrats temporaires ou à temps partiel, de sorte qu'ils puissent être en mesure d'acquérir, d’actualiser et de développer leurs connaissances, aptitudes et compétences tout au long de leur vie (par exemple par le biais de plans de formation individuels et des comptes de formation). Par conséquent, la CES réclame :
Un droit à la formation individuel pour les travailleurs européens ;
La promotion de programmes sectoriels de formation et de comptes de formation, associant étroitement les partenaires sociaux, et des modules de formation communs liés aux compétences vertes, ainsi qu’une meilleure reconnaissance des compétences non formelles et des mesures pour assurer le transfert des compétences collectives ;{{
}}Une politique réelle et efficace en matière d’enseignement et de formation professionnelle et une politique d’éducation publique requièrent un financement adéquat. Les fonds structurels sont importants, mais ne suffisent pas, et le rôle du Fonds Social Européen devrait être garanti et accru.{{
Droits syndicaux
}}Le respect des droits du travail et autres droits de l'homme est essentiel pour assurer une transition juste en Europe et dans le monde. C’est pourquoi la Commission doit veiller à ce que la prise de décisions démocratique et le respect des droits de l'homme et du travail soient garantis afin d'assurer une représentation équitable des travailleurs et des communautés d'intérêts au niveau national.
{{
Protection sociale
}}Les pouvoirs publics doivent également fournir un filet de sécurité par des politiques actives du marché du travail, une solide protection sociale et des mesures de soutien. Un cadre européen de restructuration doit inclure des mécanismes de soutien pour les travailleurs qui sont victimes de mutations économiques. La CES soutient pleinement l’appel pour une protection sociale minimale à aborder lors de la Conférence internationale du travail (juin 2012).
La CES soutient l’ambition unilatérale renforcée de réduire les émissions de gaz à effet de serre en Europe, si elle est soutenue par un programme social crédible et les fonds nécessaires pour aider ces secteurs et régions qui seraient touchés négativement au niveau de l’emploi suite à l’absence de progrès réalisés par les autres grands pays. La CES continuera à travailler avec la CSI et les syndicats affiliés dans d’autres pays de taille comme le Brésil, le Canada, l’Inde, la Russie, les États-Unis et la Chine afin d’assurer des engagements crédibles dans ces pays et dans les autres (émetteurs).