Position commune de la CES et du CSEE sur les micro-certificats dans l’EFP et l’enseignement supérieur

Bruxelles, le 2 juillet 2020
 

Adopté par le Bureau du CSEE le 23 juin 2020 
Adopté par le Comité Executif de la CES le 2 juillet 2020

 

Contexte

Dans les récentes discussions politiques, la Commission européenne a proposé avec un enthousiasme accru la mise en place de micro-certificats dans l'enseignement et la formation professionnels (EFP) ainsi que dans l'enseignement supérieur. Le thème des micro-certificats a récemment été abordé lors de la réunion du Comité consultatif pour l'EFP (ACVT) relative à la future initiative du Programme des compétences, et lors des réunions du Groupe de suivi du processus de Bologne (BFUG) concernant le prochain Communiqué de Rome et un projet sur les micro-certificats dans l'enseignement supérieur.

Le document de travail de la Commission européenne présenté lors de la réunion de l'ACVT (le 10 juin 2020) mentionne que ce thème jouera un rôle important dans les prochaines initiatives politiques de la Commission car celle-ci « a entamé une réflexion sur une possible approche européenne des micro-certificats. Une initiative commune entre les commissaires Gabriel et Schmit, impliquant les acteurs du marché du travail et du secteur de l’éducation et de la formation, vise à l’élaboration d’une feuille de route dans laquelle figurent les actions à entreprendre au niveau européen pour assurer l’adoption, la validation et la reconnaissance des micro-certificats. »

Toutefois, l'absence d'une définition convenue et d'une compréhension commune des micro-certificats au niveau européen constitue la première difficulté. Le document de travail de la Commission européenne définit les micro-certificats comme suit : « Les micro-certificats sont des attestations qui confirment qu'une personne a acquis une compétence à part entière, c'est-à-dire des connaissances, des aptitudes et/ou une expérience dans un domaine bien défini et limité. » Nous estimons que cette définition de la Commission Européenne reste très vague, et que celle proposée par l’Université d'État de New York (SUNY) peut être considéré comme un point de départ pour élaborer une définition européenne des micro-certificats: « Les micro-certificats vérifient, valident et confirment que des compétences et/ou aptitudes spécifiques ont été acquises, ils sont approuvés par l'établissement émetteur, mis en œuvre par le biais de processus de gestion établis du corps professoral et conçus pour être utiles et de haute qualité. »[1]

Dans son document de travail sur les diplômes alternatifs dans l’enseignement supérieur paru en 2020[2], l’OCDE explique que les « diplômes alternatifs » sont des « diplômes non reconnus par les autorités nationales compétentes comme des qualifications éducatives formelles autonomes », et qu’ils peuvent être décernés à tous les niveaux d’enseignement. En ce qui concerne l'enseignement supérieur, le document fait référence à un nouveau projet de l'Union (MicroHE[3]) qui définit les micro-certificats comme un « sous-groupe d'un ou de plusieurs diplômes qui confère un minimum de 5 crédits ECTS et qui pourrait venir compléter un diplôme plus important ou faire partie d'un portfolio ».

Les micro-certificats peuvent être des certificats parrainés par l'employeur (par exemple, de Cisco, Microsoft, etc.) ou délivrés par des établissements d'enseignement (par exemple via des formations en ligne ouvertes à tous – MOOC).
 

Position commune de la CES et du CSEE

Les syndicats de travailleurs et les syndicats de l’enseignement ont plusieurs inquiétudes quant à l’attention nouvelle accordée aux micro-certificats en raison des répercussions considérables qu’ils auraient sur l'approche globale de l'éducation, la qualité et la reconnaissance de la formation des employés, les conventions collectives et le personnel dans les secteurs de l'EFP et de l'enseignement supérieur.

La crise du COVID-19 aura une influence majeure sur le secteur de l'éducation et il conviendra d’améliorer et de recycler les compétences des travailleurs afin de leur assurer une transition équitable lors du passage à une économie numérique et verte. C’est pourquoi nous exprimons aujourd’hui notre grande préoccupation face à une politique de la Commission européenne qui ne porterait pas sur les actions et investissements nécessaires pour résoudre ces problèmes réels, mais qui proposerait plutôt de nouvelles initiatives, comme celle sur les micro-certificats qui, d’ailleurs, n’émane pas d’une demande du secteur de l'éducation, des travailleurs et des employeurs. Nous demandons à la Commission européenne de se concentrer sur la garantie d’un investissement public durable dans l’éducation, d’un droit européen à la formation qui contribue à un développement de carrière équitable pour les travailleurs et employés, et d’un soutien à l’intention des chômeurs et adultes « peu qualifiés » par la reconnaissance formelle de leurs compétences et l’acquisition de compétences élémentaires et professionnelles nécessaires pour décrocher un emploi. Il est important que les formations de perfectionnement et de recyclage des travailleurs et des chômeurs qui ne disposent pas d'une qualification complète les dotent de compétences et d’aptitudes sociales et professionnelles pour s'assurer qu'ils obtiennent non seulement une qualification complète, mais qu'ils occupent une position solide sur le marché du travail pour les transitions à venir.

  1. La crise du COVID-19 a une incidence considérable sur les travailleurs et le personnel éducatif. D'une part, un taux de chômage élevé parmi les travailleurs implique le risque que certains d'entre eux deviennent des chômeurs de longue durée et finissent par perdre leurs compétences tandis que, d'autre part, le passage en urgence à un enseignement à distance, d’un jour à l’autre, a eu et aura un impact supplémentaire sur le secteur de l'éducation dans son ensemble, ainsi que sur l'enseignement et les conditions de travail des enseignants. Nous sommes donc surpris que la Commission européenne introduise la nouvelle initiative sur les micro-certificats à des fins de lutte contre l'impact de la crise du COVID-19 sur le développement des compétences, l'éducation et la formation vis-à-vis du marché du travail. Cette orientation sera néfaste pour l’acquisition et la reconnaissance de qualifications complètes. La crise du COVID-19 a amplifié l’importance des qualifications complètes dans la lutte contre les inégalités croissantes et au regard de la nécessité d’une reprise adaptée à l'économie circulaire, au changement climatique et à la transformation numérique des sociétés.
  1. Bien que nous reconnaissions la nécessité de certains micro-certificats délivrés par les entreprises ayant trait à leur expertise (par exemple, Microsoft), nous rappelons que l'ensemble du système éducatif ne peut pas être articulé autour du marché du travail. L’éducation est un bien public et elle doit préparer les étudiants à devenir des citoyens et employés démocratiques. Cette vision globale de l'éducation doit être protégée pour permettre aux étudiants d'acquérir des compétences sociales, et non pas uniquement des connaissances pertinentes sur le marché du travail à court terme. Nous sommes profondément préoccupés par le fait que l'accent mis sur les micro-certificats puisse conduire à contourner les systèmes éducatifs formels, alors que la récente crise de santé publique a démontré l’importance de l'éducation.
  1. Nous nous inquiétions du fait que la Commission européenne ait développé le thème des micro‑certificats à un niveau élevé sans impliquer les syndicats dans la définition du travail nécessaire ou d'une feuille de route potentielle à l'échelle européenne. Nous soulignons l'extrême importance d’engager un dialogue social avec les syndicats concernés en ce qui a trait à une initiative politique qui aura un impact significatif sur les travailleurs et le personnel éducatif. Nous regrettons que la Commission européenne envisage d’intégrer la question des micro-certificats dans les prochaines initiatives politiques sur l’EFP et l’enseignement supérieur, sans disposer d’aucune compréhension et définition communes, ni d’opinion partagée à ce sujet au niveau européen. Nous demandons à la Commission européenne de contribuer à l'élaboration d'une définition commune des micro-certificats fondée sur une recherche indépendante approfondie, des discussions au sein d'un groupe de travail composé d’experts gouvernementaux spécialisés dans les qualifications et des échanges avec les partenaires sociaux. Nous exigeons de pouvoir déterminer, de concert avec un tel groupe, la nécessité d’une initiative sur les micro-certificats au niveau européen, et développer une évaluation d'impact.
  1. La reconnaissance et la confiance dans les micro-certificats garantiraient leur transférabilité entre le monde éducatif et le marché du travail ainsi qu’entre les différents pays, et permettraient également leur inclusion dans des qualifications complètes. Les micro-certificats peuvent accroître les possibilités des travailleurs d'accéder à un apprentissage flexible tout au long de la vie et peuvent compléter la qualification et la requalification des travailleurs. Toutefois, nous sommes en faveur des micro‑certificats uniquement lorsqu’ils sont complémentaires aux qualifications complètes, que leur qualité est garantie et certifiée, qu’ils sont reconnus comme une attestation de réussite et pas uniquement validés, et qu’ils jouent un rôle dans la validation de l’apprentissage non formel et informel. Ils doivent être validés et reconnus par les établissements d’EFP, les syndicats sectoriels et intersectoriels, et les employeurs. Les micro-certificats doivent être utiles et de haute qualité. Ils doivent reposer sur des normes relatives au mode de délivrance, à la procédure d'évaluation et à la durée, et préciser la manière dont ils sont liés aux qualifications complètes. Nous rappelons que selon le CEDEFOP[4], la modularisation des programmes d’EFP initiaux et/ou continus est utilisée dans de nombreux pays afin de répondre avec flexibilité aux besoins de formation de travailleurs dont les compétences doivent être améliorées ou recyclées et de groupes confrontés à des défis, comme les chômeurs. De tels programmes doivent néanmoins être reconnus et intégrés dans des systèmes de validation de l’apprentissage non formel et informel. La validation de l'apprentissage non formel et informel des acquis et de l'expérience de travail est essentielle pour réduire les périodes de formation à long terme nécessaires. Si les micro-certificats peuvent être reconnus comme une attestation de réussite, et pas uniquement de participation, ils ne doivent pas l’être en tant que diplôme/qualification complète dont les perspectives en termes d’éducation ou de formation sont plus vastes. Par conséquent, l’intitulé des micro-certificats doit différer de celui de la qualification complète, les micro-certificats doivent être accordés en fonction de leur contenu et ne pas avoir l’intitulé de la qualification complète à laquelle ils font référence.
  1. Les micro-certificats doivent donc avoir une valeur à l’échelle nationale et européenne uniquement lorsqu’ils font partie de qualifications complètes mentionnées dans le Cadre européen des certifications (CEC) et qu’ils correspondent à un niveau de qualification dans les Cadres nationaux des certifications respectifs, sur la base de l’évaluation, des résultats d’apprentissage et du programme définis des micro-certificats. Nous sommes préoccupés par le fait que certains prestataires de services d’EFP ont déjà commencé à délivrer des micro-certificats en les classant dans les cadres nationaux des certifications au même niveau que les qualifications complètes dans lesquelles ils devraient être inclus. C’est une situation qui doit nous alarmer, car elle met en danger la crédibilité du CEC et des cadres nationaux des certifications, ainsi que la confiance à l’égard des qualifications. Cela entraîne également des perturbations sur le marché du travail, réduit à néant les conventions collectives, et représente un risque pour l'apprenant en cas de substitution des certificats autonomes aux micro-certificats. Par conséquent, nous exigeons que les micro-certificats correspondent à une durée de formation standard (pas trop courte) et se présentent sous la forme d’une attestation de réussite/certificat qui mentionnerait clairement qu'il ne s'agit pas d'une qualification complète et préciserait la partie de la qualification complète à laquelle ils se rattachent. La validité éventuelle des micro-certificats doit aussi être explicitement mise en évidence.
  1.  Les syndicats se sont montrés très critiques envers toute offre d’éducation et de formation entièrement axée sur une unique connaissance ou compétence particulière, sans assurer une qualification complète. En ce qui concerne l’ECVET[5], nous avions demandé que la Commission européenne ne fasse pas avancer les réformes nationales visant à instaurer l’apprentissage sous forme d’unités dans l’EFP qui divise les qualifications en modules alors que les qualifications complètes sont liées aux conventions collectives. Nous avons souligné la nécessité de la reconnaissance des unités de formation (au sein de l’EFP initiaux et continus, pour les étudiants, les employés ou les programmes de formation des adultes) dans le cadre d’une qualification complète liée aux conventions collectives. Nous ne pouvons nous prononcer en faveur du découpage et de la division des qualifications complètes existantes en unités ou certificats dans la mesure où les qualifications et la définition des qualifications relèvent de la compétence nationale et sont soumises au dialogue social sur les qualifications professionnelles et aux conventions collectives, et donc fortement corrélées aux rémunérations. Les qualifications / diplômes complets sont essentiels pour l'employabilité et seuls ceux-ci doivent être considérés comme des garanties car les conventions collectives sont basées sur eux.
  1. Nous rappelons que les conventions collectives portent sur les qualifications et les titres de compétences, et non sur les micro-certificats. En règle générale, les micro-certificats ne sont pas reconnus par les employeurs, même si dans certains pays et secteurs ils peuvent l’être grâce à des conventions collectives. Le marché du travail a besoin de qualifications complètes et les micro-certificats ne devraient pas transférer la responsabilité de la poursuite de l’apprentissage des entreprises aux employés. Par ailleurs, le plus grand danger des micro-certificats réside dans le fait qu’ils peuvent être délivrés par n’importe qui. Toutefois, si un employé devait obtenir un micro-certificat à chaque acquisition de compétence, cela augmenterait le nombre de micro‑certificats à un niveau qui ne pourrait faire l’objet d’un suivi. Cela remettrait non seulement en cause l’obligation redditionnelle des micro-certificats, mais compromettrait également le contrôle exercé sur ces micro-certificats et affecterait grandement les conventions collectives.
  1. La Commission européenne soutient que les employeurs sont prêts à envisager les micro‑certificats et à leur accorder une valeur supérieure aux qualifications complètes. Cependant, concernant la délivrance de micro-certificats, l’assurance qualité et l’accréditation sont des enjeux clés pour assurer la confiance de l’apprenant et de l’employeur ainsi que pour protéger l’apprenant et la qualité de l’éducation. Par conséquent, les micro-certificats devraient être liés aux crédits et à la reconnaissance, et ceux mis au point par les employeurs devraient être transférables. Il est important de définir les exigences qualité des organismes délivrant des micro-certificats et, éventuellement, leur accréditation.
  1.  Une réglementation stricte visant à garantir le maintien des micro-certificats dans le processus d'éducation formelle devrait être corrélée à l'exigence d'une formation pédagogique pour les enseignants et formateurs de ces courts programmes d'études. En ce qui concerne le recours aux micro-certificats dans la profession enseignante, nous rappelons à la Commission européenne les réglementations nationales et les exigences existantes stipulant que les enseignants doivent être pleinement qualifiés, et que leur autonomie professionnelle et liberté académique doivent être respectées dans les secteurs de l’éducation et de la formation.
  1. Enfin, nous soulignons l'importance de respecter la liberté académique individuelle et l'autonomie institutionnelle des établissements d'enseignement supérieur qui ont été assaillis par les demandes du marché du travail et frappés par les restrictions budgétaires publiques, obligeant les universités à rechercher des financements supplémentaires, souvent par le biais d’une offre de cours de courte durée à l’intention du marché du travail. Nous faisons écho aux préoccupations du directeur de la Direction de l’éducation de l’OCDE, Andreas Schleicher, qui a déclaré que la numérisation croissante de l’apprentissage et le développement des micro‑certificats – cours en ligne de courte durée qui délivrent aux étudiants une certification numérique ou un « badge » une fois terminés – conduiraient à une baisse du pouvoir des universités dans l’éducation[6].

[1] Rapport et recommandations du groupe de travail sur les micro-certificats de l’Université d'État de New York. https://system.suny.edu/media/suny/content-assets/documents/academic-affairs/Micro-Credentialing-TaskForce--Report.pdf

[2] OCDE (Shizuka Kato, Victoria Galán-Muros, Thomas Weko) : L’émergence des diplômes alternatifs, mars 2020

[3] Projet MicroHE https://microcredentials.eu/

[4] Cedefop, 2018 : Du chômage de longue durée à un emploi en adéquation professionnelle https://www.cedefop.europa.eu/files/3076_en.pdf

[5] Système européen de crédit pour l'enseignement et la formation professionnels

[6] Discours prononcé lors du Forum mondial de l’éducation à Londres le 21 janvier 2019 https://www.researchprofessionalnews.com/rr-he-agencies-other-2019-micro-credentials-threaten-universities-says-oecd-director/