Bruxelles, 05/06/2013
Messages clés
Le Conseil européen doit porter un regard critique sur le Semestre européen pour déterminer si le processus est à la hauteur des défis que représente la création d’emplois de qualité durables. Les politiques inadéquates suivies par les États membres et l’Union européenne doivent être corrigées. La CES appelle l’Union européenne à effectuer un VRAI changement de cap et de stratégie en donnant priorité à la croissance, à l’emploi et à la cohésion sociale. Ceci implique de :
- Donner la priorité aux investissements en faveur d’une croissance durable et de lutter contre le chômage au travers d’un programme d’investissement majeur – un nouveau « Plan de relance européen » – à hauteur de 1 à 2 % du PIB européen ;
- Placer la création d’emplois plus nombreux et de meilleure qualité au cœur du Semestre européen en donnant priorité aux mesures qui favorisent la création d’emplois de qualité durables. Cet objectif devrait être le point de départ de réformes dans plusieurs domaines (fiscalité, marché du travail). Nous rejetons toutes les politiques ayant pour objectif de faire porter la charge par les travailleurs par une flexibilité accrue du marché du travail, la déréglementation et la concurrence sur les salaires et les conditions de travail ;
- Mettre fin aux coupes dans les dépenses publiques et la protection sociale qui affaiblissent les services publics et les filets de protection sociale ;
- Garantir l'autonomie des partenaires sociaux et la libre négociation collective de même que la place centrale du dialogue social dans les politiques de réforme.
Il y a un an, en juin 2012, le Conseil européen convenait d’un pacte pour la croissance et l’emploi (« le Pacte de croissance ») avec pour objectif de « relancer la croissance, l’investissement et l’emploi et rendre l’Europe plus compétitive ». La CES prévenait alors que les mesures proposées étaient insuffisantes pour faire face au défi de la relance de l’économie et de la réduction du chômage.
Douze mois plus tard, les spéculations quant à la survie de l’euro peuvent avoir diminué mais la zone euro est toujours en période de récession prolongée. De récents rapports témoignent aussi de la dégradation persistante du marché du travail européen et de la situation sociale. Eurostat estime que 26,521 millions d’Européens étaient sans emploi en mars 2013, soit presque 2 millions de plus par rapport à l’année précédente. Les prévisions économiques du printemps n’apportent que peu d’espoir et indiquent que le chômage devrait en fait empirer. Travail précaire et précarité de l’emploi augmentent tandis que les salaires chutent ; les bénéfices sont en hausse tandis que les gens sont face au risque de pauvreté du fait de la réduction des prestations sociales et des régimes de protection sociale.
Cette situation est intolérable. Malgré le pacte de croissance et d’autres engagements, l’Union européenne et les États membres continuent à favoriser les mesures d’austérité – même si c’est sous l’apparence d’un « assainissement budgétaire intelligent » – au détriment de la croissance et de la création d’emplois. Cette stratégie d’austérité budgétaire est manifestement un échec. Le cadre politique européen actuel entrave la capacité de l’UE d’atteindre les objectifs d’Europe 2020, notamment en matière d’emploi et de réduction de la pauvreté. C’est la raison pour laquelle, avant le Conseil européen de juin, la CES appelle une nouvelle fois l’Union européenne à mettre l’emploi, la croissance et l’atténuation de la crise sociale au cœur de la politique européenne.
La CES observe que le discours politique européen a désormais assoupli quelque peu le calendrier de réduction des déficits. La Commission propose de donner à la France, la Pologne, la Slovénie et l'Espagne deux ans de plus pour réduire leur déficit sous le seuil de 3 % du PIB tandis que le Portugal et les Pays-Bas reçoivent un délai supplémentaire d'un an. L’Italie, dont le déficit tomberait sans cela à 2 % en 2013 et 2014, envisage d’utiliser la marge disponible sous les 3 % de déficit pour accorder des flux de crédits aux entreprises et relancer les investissements publics. La même flexibilité n’a par contre pas été accordée à la Belgique car la Commission est d’avis que ses mesures de réduction du déficit se sont limitées jusqu'à présent à 1,5 % du PIB, ce qui ne représente que la moitié de l'ajustement entrepris dans d'autres pays de la zone euro.
Toutefois, le ralentissement du rythme de réduction du déficit ne signifie pas que la Commission a écarté foncièrement toute politique d'austérité. En effet, dans un même temps, la Commission a détaillé l'ampleur des mesures structurelles de réduction des déficits que les États membres doit prendre dans les prochaines années. Elles s'élèvent à 1,3 % du PIB d'ici 2014 (Pays-Bas), à plus de 2,9 % d'ici 2015 (France) et sont supérieures à 4 % du PIB d'ici 2016 (Espagne). Ces réductions seront suffisamment importantes pour représente un sérieux revers pour la reprise économique et la création d'emplois.
En outre, le prix à payer pour assouplir le rythme de l’austérité budgétaire risque d’être conséquent. Sous la pression de la Banque centrale européenne, la Direction générale des affaires économiques et financières (DG ECFIN) et le Conseil « Affaires économiques et financières » (ECOFIN) exigent encore davantage d’assouplissement des marchés, et singulièrement des marchés du travail, et des systèmes de formation des salaires en contrepartie d’une certaine flexibilité dans la stratégie d’austérité budgétaire. La théorie consiste à dire que des marchés et des salaires flexibles rétabliront compétitivité et croissance, établissant ainsi une meilleure base pour réduire la dette publique à l’avenir. Cette approche souffre cependant des mêmes inconvénients que l’austérité budgétaire. Si la dépression salariale intervient simultanément dans plusieurs États membres, les gains de compétitivité s’annuleront réciproquement et les coupes salariales auront un effet régressif sur la demande intérieure. Si les taux d’intérêt sont proches de zéro, la politique monétaire ne peut pas compenser l’impact négatif sur la demande globale qu’entraîne une redistribution des salaires en faveur des bénéfices.
En fixant les priorités du Semestre européen actuel, l’Examen annuel de la croissance 2013 appelait les États membres à maintenir la « dynamique de réforme » et leur recommandait de se préparer à une relance riche en emplois en continuant à déréglementer le code du travail et à augmenter la flexibilité des mécanismes de fixation des salaires. Cette approche a débouché sur une augmentation du travail précaire, des contrats atypiques, de la proportion de travailleurs à temps partiel sous-employés et sur un nombre croissant de travailleurs pauvres. Le chômage devient de plus en plus structurel avec une augmentation du chômage de longue durée dans une majorité des États membres.
Ceci contredit l’engagement des États membres inscrit dans le pacte de croissance à prendre les actions immédiates nécessaires au niveau national pour atteindre les objectifs de la stratégie Europe 2020, insistant en outre sur la lutte contre le chômage et les conséquences sociales de la crise. Le pacte de croissance précise que « les États membres procéderont rapidement à la mise en œuvre de leurs plans nationaux pour l'emploi et élaboreront des plans nationaux pour l'emploi plus ambitieux et plus détaillés en prévision du prochain semestre européen ». Les réactions des affiliés de la CES concernant les plans nationaux pour l’emploi indiquent toutefois que la situation reste peu satisfaisante et que plusieurs États membres n’ont toujours pas préparé de tels plans.
Le Pacte de croissance ainsi que les récentes propositions de la Commission (paquet emploi, garantie jeunes et paquet investissements sociaux) sont présentés comme les pierres angulaires d’une réponse globale de l’UE à la crise. Le Conseil européen doit évaluer le semestre européen de manière critique pour déterminer la raison pour laquelle le processus ne répond pas à certains objectifs clés de la stratégie Europe 2020, à savoir la création d’emplois de qualité durables. Les politiques inadéquates suivies par les États membres et l’Union européenne doivent être corrigées. La CES appelle dès lors l’Union européenne à effectuer un vrai changement de cap et de stratégie. Ceci demande de :
- Mettre fin aux coupes dans les dépenses publiques et la protection sociale qui affaiblissent les services publics et les filets de protection sociale ;
- Placer la création d’emplois plus nombreux et de meilleure qualité au cœur du Semestre européen en :
- Donnant la priorité aux investissements en faveur d’une croissance durable au travers d’un programme d’investissement majeur – un nouveau « Plan de relance européen » - à hauteur de 1 à 2 % du PIB européen ;
- Donnant la priorité aux mesures qui favorisent la création d’emplois de qualité durables ;
- Corrigeant les réformes structurelles axées sur une flexibilité accrue de la main-d’œuvre par la déréglementation et la recherche d’une plus grande compétitivité par une concurrence sur les salaires et les conditions de travail ;
- Investissant dans des mesures qui renforcent la productivité comme l'éducation, l'amélioration des aptitudes et des compétences, ainsi que dans de meilleures conditions de recherche et de développement ;
- Inclure la fiscalité dans les réformes structurelles afin de combattre la fraude, l'évasion fiscale, les paradis fiscaux et la concurrence fiscale entre les entreprises.
La dimension de genre de la crise continue d’être négligée et a été largement ignorée dans les réponses politiques. Tous les aspects du processus du Semestre européen devraient intégrer la dimension de genre pour garantir une approche cohérente et globale. Lors du développement et de la mise en œuvre des PNR (plans nationaux de réforme), les États membres devraient appliquer une perspective d'égalité hommes-femmes telle que recommandée par le Pacte européen pour l'égalité hommes-femmes 2011-2020. Les recommandations par pays doivent également inclure une approche plus large de l’égalité hommes-femmes pour garantir des recommandations visant à améliorer cette égalité tout comme la situation des femmes sur le marché de l’emploi.
Plusieurs actions positives doivent être renforcées et stimulées. La CES a salué l’adoption de la garantie jeunes en mars dernier garantissant que chaque jeune se verra offrir un emploi de qualité, un complément de formation, un apprentissage ou un stage dans les quatre mois qui suivent sa sortie de l’école ou son inscription au chômage. Ce pas dans la bonne direction doit être efficacement soutenu et suivi au niveau national. Une action urgente et concrète favorisant les opportunités d’emplois de qualité pour les jeunes, y compris dans le secteur public, est nécessaire.
La CES salue également le fait qu’avec le paquet investissements sociaux, la Commission a reconnu la nécessité de tels investissements dans l’Union européenne. Les systèmes publics de protection sociale, basés sur des principes tels qu’universalité et solidarité, sont le meilleur moyen de garantir une protection adéquate et effective à tous ceux qui sont dans le besoin et de renforcer la cohésion sociale. Ils doivent disposer des ressources nécessaires au travers d’une fiscalité efficace et correcte et en veillant à ce qu’une majorité de citoyens européens soient au travail et contribuent au bien-être de tous. De simples recommandations ne sont toutefois pas suffisantes ; l’Europe a besoin d’un véritable programme d’investissements pour favoriser la croissance et l’emploi et garantir la cohésion économique et sociale. La CES note que le Fonds social européen ne suffit pas à financer le paquet investissements sociaux, ni d’ailleurs les investissements sociaux en général, dont l’Europe a besoin.
En avril 2012, le paquet emploi de la Commission définissait un programme d’actions à moyen terme, au niveau européen et national, pour soutenir une « croissance riche en emplois » et identifiait l’économie verte, la santé et les services sociaux ainsi que les TIC comme des secteurs potentiellement créateurs d’emplois. La politique industrielle est aussi un facteur clé pour la création d'emplois. La CES soutient pleinement la nécessité de se concentrer sur les secteurs existants et futurs possédant un potentiel de création d'emplois, mais une plus grande attention doit être consacrée à l'actuelle destruction d'emplois et aux développements à un secteur particulier à court terme. La croissance riche en emplois reste toutefois très discrète et le Conseil doit répondre à la question de savoir quelles mesures concrètes ont été prises suite aux propositions et quels en sont les résultats.
La dimension sociale doit être intégrée et garantie dans le cadre de la gouvernance économique comme le recommande la CES dans sa position sur la dimension sociale de l’Union européenne et dans sa proposition de Contrat social pour l’Europe (*). Il est essentiel que la poursuite des objectifs budgétaires et fiscaux n’affecte pas la réalisation des objectifs en matière d’emploi et des objectifs sociaux. La capacité du Conseil de juin de répondre à ce défi sera capitale pour restaurer et maintenir l’engagement des travailleurs pour le processus d’intégration européenne.