Position de la CES sur l'Union des marchés des capitaux (UMC)

Bruxelles, le 2 novembre 2016

Position de la CES sur l'Union des marchés des capitaux (UMC)

Adoptée lors de la réunion du Comité exécutif du 26-27 octobre 2016

Contexte

Le plan d’action relatif à l’Union des marchés des capitaux (UMC) présente un programme de 33 actions et de mesures d’accompagnement ayant pour objectif de déterminer les éléments constitutifs d’un marché des capitaux intégré dans l’Union européenne d’ici à 2019. En améliorant le partage du risque privé, il est destiné à renforcer le système financier européen en offrant des sources alternatives de financement et en augmentant les options pour les investisseurs finaux et institutionnels dans le but d’accroître les investissements.

Le Conseil européen du 28 juin 2016 a plaidé pour des progrès rapides en faisant avancer l’agenda de l’Union des marchés des capitaux afin d’assurer un accès au financement plus facile pour les entreprises et de soutenir l’investissement dans l’économie réelle. Le 14 septembre 2016, la Commission européenne a demandé l’exécution rapide des premières mesures proposées dans le plan d’action, en particulier le paquet titrisation simple, transparente et standardisée (STS). Le Conseil est déjà parvenu à un accord sur la titrisation et des discussions sont maintenant en cours au Parlement européen.

L’initiative de l’Union des marchés des capitaux est fondée sur l’hypothèse que les entreprises privées, singulièrement les PME, éprouvent des difficultés à accéder au financement et que le financement des investissements privés en Europe repose trop sur les prêts bancaires et pas suffisamment sur les marchés des capitaux. En permettant un meilleur accès aux marchés financiers des capitaux et en offrant différents types de financement, l’UMC est destinée à servir d’outil pour la croissance, la création d’emplois et la stabilité financière.

Le projet d’Union des marchés des capitaux devrait également être un moyen de renforcer le processus d’intégration européenne et de rendre les marchés des capitaux plus efficaces. Des différences notables existent toutefois entre États membres, telles que les règles en matière de faillite ou la définition des PME, qui pourraient empêcher l’européanisation des marchés des capitaux.

Il est également douteux que le manque de crédit soit le principal obstacle à la croissance et à la création d’emplois. De plus, la CES fait remarquer que les processus de titrisation dans l’industrie financière, bien que permettant un partage du risque entre parties prenantes, constituent une voie rapide pour la propagation du risque systémique.

La relance de la technique de titrisation est paradoxale étant donné que, après la crise, les responsables politiques ont mis en place des règlementations macroprudentielles bancaires, telles que le ratio de levier (Bâle III et CRD IV), que le nouveau paquet (à travers la titrisation) permettra de contourner. Les risques seront dès lors transférés vers le secteur financier non réglementé, le système bancaire parallèle, qui fut au cœur de la crise financière et de sa propagation.

A cet égard, la CES a des doutes concernant l’Union des marchés des capitaux aussi bien en tant que moyen de stimuler la croissance et la création d’emplois que d’outil de stabilisation.

L’Europe doit stimuler la demande intérieure

Il est aujourd’hui admis par les institutions européennes que le manque de demande intérieure, c.-à-d. consommation et investissements publics et privés, est le principal problème économique auquel l’Union européenne est confrontée. Il est donc essentiel pour l’Europe d’accroître les investissements. Cependant, les entreprises n’investissent que si elles peuvent tabler sur une demande pour leurs produits, ce qui reste le problème le plus important. Dans la dernière enquête de la Banque centrale européenne sur l’accès des entreprises au financement dans la zone euro publiée en mars 2016, on peut lire que « l’accès au financement » est considéré comme un moindre souci par les PME de la zone euro tandis que « trouver des clients » reste le principal problème. L’accès au financement pose encore moins de problème aux grandes entreprises. En outre, l’enquête révèle que les PME confirment « une augmentation des financements bancaires disponibles (crédits et découverts bancaires) et de la volonté des banques d’accorder des crédits à des taux d’intérêt plus bas ». En fait, la politique monétaire mise en place aurait dû provoquer une énorme augmentation des prêts qui ne s’est toutefois pas produite en raison du manque de demande de crédits.

De tels résultats devraient persuader les responsables politiques de revoir leurs recommandations destinées à soutenir une modeste et très fragile relance. La CES réclame donc une augmentation des investissements publics et des salaires comme déclencheurs efficaces d’une relance solide et durable.

La CES s’interroge dès lors sur les avantages du plan d’action UMC en termes de croissance et de création d’emplois, et exprime ses préoccupations quant à son impact sur l'emploi dans le secteur bancaire.

Stabilité financière

Il faut se rappeler que la crise de 2007-2008 trouve ses racines aux États-Unis dans le processus de titrisation dans l’industrie hypothécaire qui a rapidement contaminé les marchés financiers et bancaires partout dans le monde et, par voie de conséquence, l’économie réelle.

En effet, les organismes prêteurs n’étaient pas intéressés par la capacité d’endettement des emprunteurs mais principalement par le fait que les actifs financiers (singulièrement les crédits) pouvaient facilement être classés par tranches de risque et reconditionnés sous forme de nouveaux actifs à vendre, générant ainsi des frais immédiats et de très importants bénéfices à court terme. Cette technique a permis la dissémination de produits financiers extrêmement risqués au sein du système bancaire parallèle non réglementé donnant ainsi naissance à un environnement financier très fragile et non viable. Il s’agit en l’occurrence du modèle origination-distribution, qui a permis la propagation de la crise financière, par opposition au modèle origination-maintien au bilan. Au-delà de sa complexité, un tel modèle a conduit à une grande opacité et à un risque moral (car la banque à l’origine de l’actif n’avait aucun intérêt à dévoiler honnêtement ses informations sur la fiabilité et le niveau de risque de l’emprunteur) et était motivé par une foi aveugle dans les marchés financiers dérégulés en tant qu’intermédiaire efficace d’allocations de capitaux. Les institutions financières doivent aujourd’hui retenir 5% de chaque actif titrisé dans leur bilan. C’est trop peu pour éviter les conflits d’intérêt (intérêts directs) et l’effet domino et doit être relevé à minimum 20% si l’approche de la titrisation devait être retenue. Au lieu de partager le risque, le modèle présenté pourrait donc mener à moins de contrôle des risques et à davantage de risque moral. C’est particulièrement inquiétant s’agissant des fonds de pension. Le transfert d’une partie des risques à des fonds de pension serait dangereux et pourrait être préjudiciable pour les pensions futures. Il faut également souligner que ce processus ne doit imposer aucune pression ni aucune menace sur les systèmes de retraite du premier et du deuxième pilier.

Bien que l’approche STS soit décrite par un large éventail de commentateurs comme étant en fin de compte toujours très complexe, cette technique est encouragée. De plus, bien qu’il soit contestable que les PME puissent accéder aux marchés des capitaux pour leur financement, la Commission européenne soutient que « la méthodologie entraînera une réduction significative de l’exigence de capital pour les tranches non senior de la titrisation STS ». Ceci augmentera la rentabilité des banques sans aucun impact sur la croissance et l’emploi. La promotion de l’intermédiation de crédit non bancaire, qui est l’objectif officiel de l’Union des marchés des capitaux, revient en réalité à une subvention réglementaire en faveur d’activités bancaires contrôlées par le marché et augmentera l’interconnexion, la procyclicité et l’effet de levier.[1]

Par conséquent, bien que la CES ne soit pas opposée au développement d’un marché des capitaux plus intégré au sein de l’Union européenne, nous avons des doutes quant aux effets d’un tel cadre sur la croissance et l’emploi et nous sommes très inquiets en ce qui concerne la stabilité financière. Le projet d’UMC, en particulier à travers la relance de la titrisation, encouragera les acteurs financiers à retourner vers une économie casino en se focalisant sur les bénéfices à court terme et les frais de conditionnement, laissant ainsi l’économie réelle de côté. En d’autres mots, la Commission européenne reconstruit un modèle propice à la crise, ce qui est exactement ce qui nous a menés là où nous en sommes aujourd’hui.

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[1] La Commission européenne ou le risque de « financiariser » la croissance, Libération, 24 mai 2016, signé par 60 économistes de renommée mondiale.