Pour une évaluation à mi-parcours de la stratégie Europe 2020

Adoptée au Comité exécutif les 11-12 mars 2014

 

Europe 2020 ne répond pas encore aux objectifs poursuivis

Au tout début, la stratégie Europe 2020, comme  la stratégie de Lisbonne qui l'a précédée, reposait sur des instruments inefficaces, en particulier, la méthode ouverte de coordination. Des structures de gouvernance économique furent ensuite établies afin de mieux coordonner les politiques économiques, et Europe 2020 dut s'adapter à cette nouvelle architecture de gouvernance, qui n'était pas conçue pour l'aider à atteindre les objectifs (d'emploi et sociaux) d'Europe 2020.

Europe 2020 ne se situe pas sur un pied d'égalité avec les procédures du semestre européen et l'examen annuel de la croissance (EAC). Par ailleurs, les objectifs d'Europe 2020 et les cinq priorités du Semestre (assainissement budgétaire, rétablissement du crédit bancaire, promotion de la croissance et de la compétitivité, lutte contre le chômage et ses conséquences sociales, modernisation de l'administration publique) ne sont ni identiques, ni cohérents.[1] La Commission souligne que « l'ordre de cette liste ne reflète pas une hiérarchie entre les priorités », mais est fière des « progrès considérables accomplis en matière d'assainissement budgétaire »: « Les progrès réalisés en matière d'assainissement budgétaire se font sentir avec le temps », « le processus d'assainissement fait sentir ses effets au niveau national » etc. (EAC 2014). En termes de priorités liées à une politique correctrice, il existe certains doutes, étant donné que la première priorité (« l'assainissement budgétaire ») est la seule qui soit liée à des mesures correctrices.

La comparaison entre l'EAC et Europe 2020 montre que ces deux stratégies pointent dans deux directions opposées: l'EAC souligne que « d'importants progrès ont déjà été accomplis » via REFIT et la Commission annonce un « tableau de bord REFIT annuel » afin de simplifier l'environnement des entreprises et de réduire la lourdeur des formalités administratives. La CES souligne qu'aucun progrès important n'a été réalisé sur les objectifs d'Europe 2020.

Il est clair que les objectifs d'Europe 2020 sont subordonnés aux objectifs économiques du semestre européen. La Commission prétend que le « cadre a commencé à produire des résultats » mais l'on ne peut en dire autant des objectifs d'Europe 2020. Les politiques du semestre européen pourraient s'avérer appropriées pour atteindre ses objectifs, mais non ceux d'Europe 2020. Par exemple, la politique d'austérité peut s'avérer utile à la mise en œuvre de l'assainissement budgétaire – mais a des effets contreproductifs et négatifs sur l'innovation, la recherche et le développement, l'allègement de la pauvreté, l'emploi, et les changements climatiques, et constitue en fait un obstacle.

Au contraire, nous pourrions affirmer que l'architecture actuelle de la gouvernance économique diminue la capacité à atteindre les objectifs. Comment, par exemple, des réformes structurelles, des services publics décimés, ou un assainissement budgétaire, pourraient-ils contribuer à accroître le budget en matière de R&D? Alors que des centaines de milliards ont été versés dans des fonds de sauvetage depuis le début de la crise financière en 2008, aucune augmentation concrète n'est perceptible en matière de R&D. On peut en conclure que l'architecture de la nouvelle gouvernance n'aidera pas la réalisation des objectifs d'Europe 2020 mais lui fera plutôt obstacle.De plus, certaines politiques européennes, notamment la Stratégie pour l'égalité entre les femmes et les hommes, sont totalement oubliées et ignorées par la stratégie Europe 2020.

En matière de chômage, l'EAC 2014 reconnaît que les taux « se maintiennent à un niveau historiquement élevé », « ce qui creuse l'écart (...) en ce qui concerne les résultats en matière sociale et sur le plan de l'emploi ». Le chômage de masse augmente puisque déjà 26 millions d'Européens sont sans emploi, les chiffres du chômage des jeunes sont alarmants dans de nombreux États membres, et le risque de pauvreté s'accroît avec 120 millions d'Européens qui vivent dans la pauvreté ou sont confrontés au risque de pauvreté. L'impact social de la crise est immense; la crise économique et financière crée les conditions d'une crise sociale généralisée caractérisée par un écart croissant dans la distribution des ressources. Il apparaît de plus en plus clairement que cette crise a des répercussions disproportionnées sur les femmes qui étaient déjà désavantagées sur le marché de l'emploi et plus menacées par la pauvreté et l'exclusion sociale. Le développement récent de la gouvernance économique a renforcé le déséquilibre et les inégalités sociales.

Vers une nouvelle approche d'Europe 2020

En vue de l'évaluation à mi-parcours d'Europe 2020 prévue pour 2015, plusieurs options sont disponibles:

  • ajouter davantage d'indicateurs et un tableau de bord et continuer à demander à la Commission de rendre les objectifs contraignants; ou passer à l'étape suivante et;
  • lier Europe 2020 à de nouveaux outils et placer Europe 2020 au même  niveau de contrainte que la gouvernance économique; ou
  • abandonner la stratégie Europe 2020 et demander un outil plus efficace en même temps qu'un agenda ambitieux pour la politique sociale.

Afin de transformer Europe 2020 en un modèle de réussite, il faut d'abord et avant tout mettre un terme à la politique d'austérité et élaborer une deuxième politique plus appropriée en faveur de l'emploi, de la recherche et de l'innovation, de l'éducation, de l'allègement de la pauvreté et de la lutte contre les changements climatiques. Le semestre européen accorde la priorité principale à l'assainissement budgétaire et n'a pas d'effet positif sur les objectifs de 2020.

 

Il est intéressant de noter le changement de langage récent de la Commission. Bien que les 5 objectifs et les 7 initiatives phares[1] pour réaliser Europe 2020 subsistent, il n'est plus fait appel à l'instrument de la méthode ouverte de coordination, mais aux nouvelles structures de gouvernance économique, qui sont présentées comme des structures mises en place pour réaliser les objectifs de 2020. La réalisation d'Europe 2020 semble dépendre de la gouvernance économique, mais celle-ci semble être davantage une pilule amère à avaler. « La réussite d'Europe 2020 repose largement sur les nouvelles structures et procédures de gouvernance que l'Union européenne met en place depuis 2010, à commencer par le «Semestre européen» (…) les États membres s'engagent à mener des réformes, et la Commission formule des recommandations pour chaque pays » [2]. Nous entrons ici dans un cercle qui voit un serpent se mordre la queue. Europe 2020 est présenté comme une stratégie qui contient l'objectif de la nouvelle structure de gouvernance économique. Mais une partie de cette nouvelle structure de gouvernance est constituée par les politiques d'austérité et d'assainissement budgétaire, qui entravent la capacité des États membres à atteindre les objectifs.

La solution défendue par la Commission consiste à ajouter quelques indicateurs supplémentaires et un tableau de bord de manière à ce que, à terme, la réalisation des objectifs soit complète et englobante. « En contribuant à la détection des défis majeurs se posant dans l’Union en matière sociale et d’emploi et à la prise de mesures réactives en temps utile, le tableau de bord devrait également concourir à la réalisation des objectifs Europe 2020. (…) Ces outils très complets doivent permettre, à terme, de repérer et de définir d’un commun accord une série de défis clés, en matière sociale et pour le marché de l’emploi, auxquels sont confrontés les États membres dans leur progression vers les objectifs de la stratégie Europe 2020. Le tableau de bord ne serait pas une simple réaffirmation des ambitions de cette stratégie, mais viserait plutôt à détecter toute évolution de la situation socio-économique au sein de l’UEM requérant un suivi plus étroit. De par son objet et ses caractéristiques, il serait complémentaire des outils de suivi précités. »

En d'autres termes, le tableau de bord contribuerait à identifier les défis essentiels (tels que la nécessité bien connue de réformes du marché de l'emploi, la flexibilité etc.). Cependant, rien ne semble être prévu qui puisse compléter les anciens et les nouveaux indicateurs par un système qui déclenche des actions de prévention et de correction afin de réaliser les objectifs d'Europe 2020. L'ajout d'indicateurs à ceux déjà existants pourrait améliorer la base de connaissances et l'analyse des tendances dans toute l'Europe, mais n'a pas d'effet correcteur immédiat, et ne pourra donc pas modifier la politique économique.

Europe 2020 - vers de nouveaux outils de réalisation des objectifs

La CES se situe à présent à une croisée de chemins – tant pour défendre l'ancienne approche de la stratégie Europe 2020 basée sur la MOC et la subordination de fait aux procédures de gouvernance économique, que pour utiliser l'opportunité de redéfinir les règles pour Europe 2020. La différence entre l'objectif ambitieux en matière d'emploi et le taux de chômage record doit être résolue de toute urgence et non diluée dans une approche à long terme trop imprécise. Il faut, à tout prix, éviter de créer une génération perdue.

Les objectifs d'Europe 2020 doivent être ancrés dans une nouvelle architecture de gouvernance sociale et économique qui soit sur un pied d'égalité avec les objectifs économiques, et liée à un agenda social ambitieux.

  • La Commission doit surveiller de l'intérieur la structure de la gouvernance économique;
  • veiller à ce que les rapports des États membres soient conformes aux objectifs d'Europe 2020; et
  • faire en sorte de les intégrer dans des recommandations par pays.

Si cet outil ne suffit pas à la diriger dans la bonne direction de convergence, d'approche et de progrès réel vers les objectifs de 2020, la Commission devrait proposer des incitants plus ambitieux pour atteindre les objectifs sociaux et d'emploi de la stratégie Europe 2020.

La CES peut continuer à appuyer les objectifs d'Europe 2020 aux conditions suivantes.

  • La Commission intègre les objectifs de 2020 dans une nouvelle architecture de gouvernance sociale et économique, en particulier le semestre européen, en les prenant en compte dans l'EAC et les recommandations par pays mais sur un pied d'égalité avec des objectifs économiques et fiscaux.
  • Les indicateurs sociaux et d'emploi étant liés à des décisions (annuelles) régulières sur les mesures préventives et correctives pour réaliser les objectifs – par exemple, un accroissement budgétaire pour atteindre  l'objectif de 3% en matière de R&D, des mesures spécifiques et des investissements pour accroître l'emploi de qualité, etc.

Une fois ces conditions remplies, un nouveau potentiel qui dépasse l'ancienne approche partiellement manquée peut être développé. La CES est prête à participer au processus de redéfinition des règles dans le cadre d'une nouvelle approche proactive qui est nécessaire dès à présent et qui ne peut attendre l'évaluation à mi-parcours de 2015.

Dans de nombreux États membres, la participation des partenaires sociaux continue d'être assez formelle ou insuffisante. La CES réitère sa revendication[3], à savoir que la participation des partenaires sociaux soit organisée de manière sérieuse et systématique, aussi bien à l'échelle européenne que nationale et que les suggestions émises par les syndicats soient prises en compte.

 


[1] « l'Union européenne s'est fixé cinq objectifs clés, à atteindre d'ici la fin de la décennie. Ils touchent à l'emploi, à l'éducation, à la recherche et à l'innovation, à l'inclusion sociale et à la réduction de la pauvreté, ainsi qu'au changement climatique et à l'énergie. La stratégie comporte également sept «initiatives phare» ... qui soutiennent les priorités d'Europe 2020, tels que l'innovation, l'économie numérique, l'emploi, la jeunesse, la politique industrielle, la réduction de la pauvreté et l'utilisation efficace des ressources. »

[2] https://ec.europa.eu/info/strategy/european-semester

[3] Position de la CES sur la stratégie Europe 2020 – une évaluation. Adoptée lors de la Réunion des 5-6 mars 2013 http://www.etuc.org/fr/documents/position-de-la-ces-sur-la-strat%C3%A9gie-europe-2020-%E2%80%93-une-%C3%A9valuation#.UzK02PldXbQ