Bruxelles, 19-20/10/2005
1. Les enjeux de la hausse du prix du pétrole
a) Le prix du baril de pétrole brut a franchi la barre des 60 dollars, soit une multiplication par six depuis 1998. L'envolée des prix du pétrole traduit certes le contexte actuel de forte incertitude géopolitique et la spéculation sur les marchés pétroliers, mais surtout des tendances structurelles de long terme. La première résulte de la conjonction entre une production limitée par un manque d'investissements dans les capacités de production et une demande croissante des pays émergents, non compensée par une baisse de la consommation dans les pays industrialisés. La deuxième renvoie à la lutte contre le changement climatique, dans une perspective " post - protocole de Kyoto ", qui imposera inéluctablement un accroissement du coût des énergies d'origine fossile (charbon, pétrole, gaz).
b) La hausse du prix du pétrole est un phénomène structurel aux conséquences économiques et sociales importantes, qui affecte les populations les plus pauvres, en Europe comme dans le reste du monde. La situation des pays en développement est particulièrement préoccupante. Leur appareil productif étant moins performant, leur intensité énergétique est deux fois plus élevée que les pays développés. Ainsi, l'Agence Internationale de l'Energie estime qu'une hausse des prix du baril de 10 dollars coûterait, un an après, 0,4 point de PIB à l'Argentine contre 3 points aux pays de l'Afrique sub-saharienne.
c) Certes, les conséquences pour l'économie européenne sont moindres que lors des chocs pétroliers de 1973 et 1979 car ils avaient été suivis d'un cycle d'innovations technologiques en faveur de l'efficacité énergétique, dans l'industrie, l'automobile et l'habitat. Ainsi, 40,7 unités de pétrole sont désormais nécessaires pour constituer une unité de PIB, contre 100 en 1973. Mais l'Europe n'a pas persévéré dans l'effort entrepris. Si, dans les années 90, l'amélioration de l'efficacité énergétique était encore de 1,4 % par an, ce taux s'est réduit depuis lors pour plafonner à 0,5 % par an. Des politiques des transports à courte vue misant essentiellement sur la route ont engendré une croissance non maîtrisée du transport routier qui pèse gravement sur l'environnement et est un facteur d'insécurité routière.
d) Cependant, l'impact est réel. La hausse des prix du pétrole a des effets immédiats sur les conditions de vie des salariés, des demandeurs d'emploi et des retraités. Elle pourrait peser sur la capacité des ménages les plus pauvres à se chauffer cet hiver. En amputant le pouvoir d'achat des salariés, cette tendance menace une croissance déjà faible en Europe alors que la consommation intérieure et l'investissement sont insuffisamment dynamiques.
e) Le problème du prix du pétrole est intrinsèquement lié à celui du changement climatique. La grande majorité des gaz à effet de serre émis par l'Union Européenne provient de la combustion du pétrole. Or, l'Union qui, dans le cadre du protocole de Kyoto, s'est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 8% d'ici à 2012, est actuellement loin du compte et devra mettre les bouchées doubles.
{{2. Eléments clefs d'une réponse européenne
Pour la CES, la situation engendrée par la hausse des prix du pétrole nécessite une réponse coordonnée des pays de l'Union européenne visant à régler ensemble les différents défis, économiques, sociaux et environnementaux, autour de trois objectifs prioritaires}} :
{{a) Des mesures transitoires immédiates
}}La CES est attentive aux difficultés rencontrées par les ménages et les professions exposées du fait de la hausse et de l'instabilité des prix du pétrole. Elle reconnaît la nécessité de mesures immédiates d'aides transitoires, de façon à restituer aux consommateurs les plus démunis et aux entreprises de transport sinistrées une partie des surplus fiscaux générés par l'augmentation du prix des produits pétroliers. Il faut également mettre à contribution les compagnies pétrolières qui profitent largement de la hausse du prix du pétrole.
Mais de telles mesures ne règlent pas tout. La tendance de fond au renchérissement du prix de pétrole et les problèmes qu'elle engendre, tant pour les consommateurs que pour les secteurs d'activité, nécessitent des politiques plus structurelles en matière économique et de politique énergétique et de transports.
{{b) Une coordination accrue des politiques économiques européennes
}}La CES appelle à une concertation entre les partenaires sociaux européens et la Banque centrale européenne (BCE) sur les réponses salariale et monétaire immédiates à apporter aux problèmes engendrés par la hausse des prix du pétrole. Dans le but d'assurer une croissance économique durable au sein de la zone euro, la concertation doit veiller à éviter deux écueils : une dégradation du pouvoir d'achat des salariés s'ajoutant à la « sous-enchère » salariale qui existe actuellement en Europe, d'une part, une augmentation des taux d'intérêts de la BCE d'autre part.
Par ailleurs, pour que les Etats deviennent robustes au prix du pétrole et au changement climatique, l'Union, les Etats et les entreprises doivent investir dans la durée et de façon cohérente, pour l'éducation et la recherche et développement, le développement des énergies renouvelables et de leurs utilisations (voitures hybrides et électriques), les infrastructures de transport publics et l'amélioration de l'efficacité énergétique des parcs immobiliers.
La CES plaide pour une harmonisation accrue des taxes sur l'énergie au plan européen qui alimenteraient un fonds d'investissement de transition énergétique. En outre, un cadre européen pour la tarification de l'usage des infrastructures de transport doit être établi, afin de permettre une prise en compte effective des coûts externes, comme le prévoit le livre Blanc de 2001 sur "La politique européenne des transports à l'horizon 2010 : l'heure des choix ». Les revenus de cette tarification devraient aussi pouvoir être utilisées en partie pour améliorer l'application de la législation du travail dans le secteur du transport routier.
{{c) Une véritable stratégie commune européenne de l'énergie, misant sur les économies d'énergie et la diversification des sources énergétiques
}}
L'UE doit s'assigner des objectifs ambitieux pour le développement des énergies renouvelables, qui sont actuellement sous-utilisées malgré leur potentiel considérable. L'Union doit passer à la vitesse supérieure, en révisant la Directive 2001 sur « la promotion de l'électricité produite à partir d'énergies renouvelables » de manière à fixer des objectifs contraignants dans le long terme pour la part des énergies renouvelables dans la production d'électricité des Etats membres.
Toutefois, la substitution du pétrole par d'autres énergies ne résoudrait que la moitié du problème de la dépendance et des objectifs du protocole de Kyoto. Des efforts massifs d'efficacité énergétique doivent être entrepris, surtout dans les transports et le bâtiment qui représentent respectivement 70% et 20% de la consommation de pétrole en Europe.
La CES appelle l'Union à adopter un programme massif de rénovation des bâtiments sociaux permettant à la fois d'économiser l'énergie, de créer des emplois, de réduire la facture énergétique des ménages et de renforcer la compétitivité à l'exportation du secteur des énergies renouvelables dont l'Europe est le leader dans le monde.
Par ailleurs, le projet de Directive « relative à l'efficacité énergétique dans les utilisations finales et aux services énergétiques » doit être adopté d'urgence, avec des objectifs chiffrés contraignants d'amélioration de l'efficacité énergétique, car il représente aussi un potentiel positif pour la création de nouveaux emplois.
Enfin, la Commission européenne doit renforcer l'évaluation et le suivi communautaire des marchés européens du pétrole et du gaz dans le souci d'une plus grande transparence.