Résolution CES: Affronter les nouveaux défis numériques du monde du travail, et du travail participatif en particulier

Résolution de la CES adoptée lors de la séance du Comité exécutif d’octobre 2017

 

La numérisation est l’un des facteurs les plus importants des évolutions actuelles, non seulement d’un point de vue technologique mais aussi d’un point de vue sociétal, et singulièrement du fait de son impact sur le futur du travail. La CES a adopté une position équilibrée dans sa résolution sur une transition numérique équitable approuvée par le Comité exécutif les 8-9 juin 2016[1], qui doit être complétée au regard des nouveaux développements que connaît le monde numérique. En raison de la numérisation et de l’économie des plateformes[2], le monde du travail est soumis à de profonds changements qui rendent nécessaire un nouveau compromis social basé sur un nouveau cadre d’action approprié.

D’un point de vue syndical, une question importante est l’impact de la numérisation de manière générale, et de l’économie des plateformes en particulier, sur les nouvelles stratégies des entreprises et sur les stratégies syndicales, sur le rôle des comités d’entreprise européens et des comités d’entreprise nationaux, sur la représentation des travailleurs dans les conseils d’administration, sur les stratégies de négociation collective et sur les relations avec les plateformes. L’économie des plateformes commence seulement à se développer : ce nouveau segment du marché du travail a un potentiel de développement exponentiel et peut couvrir une vaste gamme de services et d’industries.

Besoin d’une connaissance des plateformes et de leur impact au-delà des évidences anecdotiques

Il existe deux sortes de travail de plateforme : alors que des activités telles que le nettoyage, le transport, le jardinage, la garde d’enfants, les soins aux personnes, la location de biens ou la plomberie sont locales et à forte intensité de main-d’œuvre, d’autres types de travail tels que le soutien informatique, la comptabilité, la traduction ou la programmation se sont développés mondialement (et ne sont pas liés à un lieu spécifique).

Une question importante est de savoir dans quelle mesure la numérisation en général (et la robotisation et l’automation qui y sont liées) et les plateformes en particulier contribuent vraiment à la création d’emplois[3] productifs ou si elles favorisent principalement la sous-traitance et le remplacement d’emplois de qualité par des emplois précaires, une externalisation des responsabilités (des employeurs), une diminution de l’obligation de rendre compte, des coûts sociétaux plus élevés en raison de la baisse des recettes fiscales et des cotisations de sécurité sociale et un contournement accru du droit du travail.

La réduction des coûts recherchés par les entreprises qui ont régulièrement recours aux plateformes en ligne mettent sous pression d’autres entreprises qui privilégient encore le travail classique internalisé. La pression pour réduire les coûts de la main-d’œuvre interne peut induire une nouvelle tendance rapide en faveur de l’externalisation et de la sous-traitance du travail à des sous-contractants, à des entreprises de travail intérimaire réglementées et à des plateformes en ligne non réglementées.

Les études empiriques visant à évaluer le potentiel d’emploi des plateformes en ligne font cruellement défaut. Il est urgent de pouvoir disposer de davantage d’information sur les conséquences du travail occasionnel sur les plateformes en ligne. Le nombre croissant de travailleurs globaux[4] qui exécutent des tâches faiblement rémunérées a fortement augmenté l’offre de main-d’œuvre. Une analyse est nécessaire pour déterminer quelle partie de la population active accomplit un travail occasionnel (par ex. en complément d’une pension ou pour financer des études) et quelle partie dépend entièrement des revenus générés par le travail à travers les plateformes en ligne. On est en droit de se demander si la Commission européenne a jamais tenté d’obtenir cette information des plateformes en ligne et si les plateformes sont prêtes à collaborer.

Dans le débat sur la mondialisation et la responsabilité des entreprises, beaucoup d’attention a été accordée à la responsabilité des entreprises globales qui organisent leur production à travers des chaînes de sous-traitance. En revanche, les activités des entreprises qui sous-traitent des tâches à des travailleurs indépendants à travers des plateformes en ligne globales, qui ne sont plus liées à des états-nations mais opèrent dans des marchés sans frontières, n’ont pas encore été vraiment étudiées de près, bien que l’on connaisse peu ou pas ce nouveau modèle commercial et les nouvelles conditions de travail de ces travailleurs.

Le risque de cette nouvelle forme de marchandisation de la main-d’œuvre inhérente à l’économie des plateformes est entièrement supporté par le travailleur alors que les bénéfices vont principalement aux plateformes, entraînant une nouvelle asymétrie du pouvoir et une augmentation des inégalités sociales. Les frontières entre les différentes formes d’emploi deviennent de plus en plus floues.

Bien qu’en théorie la numérisation favorise un meilleur (ou au moins un bon) équilibre entre vie professionnelle et vie privée, en pratique ce n’est pas automatiquement le cas. Souvent les employeurs tentent d’exploiter les nouvelles opportunités offertes de manière unilatérale afin d’augmenter la flexibilité mais souvent les travailleurs n’ont pas la souveraineté numérique de choisir leur lieu de travail, de choisir entre plein temps ou temps partiel et de gérer les aménagements de leurs horaires de travail. Les divergences entre le souhait de flexibilité unilatérale de l’employeur et le souhait de souveraineté accrue et d’alternatives et de choix véritables des travailleurs rendent les droits à l’information, à la consultation, à la participation et à la négociation d’autant plus nécessaires.

Souvent, les promesses ne sont pas tenues. Les plateformes annoncent une plus grande liberté, une plus grande flexibilité et un meilleur contrôle alors qu’en réalité les travailleurs font état de niveaux extrêmes de contrôle, d’emplois peu qualifiés, peu rémunérés (avec peu ou pas de possibilité pour les travailleurs de négocier une meilleure rémunération avec la plateforme) et souvent de conditions de travail précaires sans aucune protection en matière de santé et de sécurité sociale et une absence de choix. Par exemple, le tarif habituel sur AMT (Amazon Mechanical Turk) est de 0,01 dollar par tâche. Les méthodes numériques de sélection et de classement offrent des possibilités accrues de contrôle et de supervision qui, par conséquent, réclament une amélioration des droits à l’information, à la consultation, à la participation et à la négociation, et de la protection des données personnelles des employés en particulier.

La perspective de pertes d’emploi potentielles dues à la numérisation est un thème important du débat public dont un des éléments est la relation entre externalisation et internalisation. Il pourrait y avoir de nouvelles opportunités d’internalisation grâce à l’impression 3D (fabrication additive) qui fait partie du développement de la fabrication numérique (par ex. dans des entreprises telles que Airbus, BASF New Business, Concept Laser, HP, DMG Mori, General Electric, Thyssen). La croissance annuelle moyenne de l’industrie de l’impression 3D au cours des 5 dernières années a été de 30%[5]. L’impression 3D ouvrent des opportunités pour de nouveaux modèles commerciaux décentralisés tels que l’impression alimentaire, la bio-impression (tissus organiques, cellules), la nano-impression ou l’impression 4D (opendesk, shapeways, 3dprintcanalhouse, fablab). De nombreux matériaux en sont encore au stade expérimental ; ils peuvent donc présenter des risques pour la santé, l’hygiène et la sécurité, voire être toxiques et/ou cancérigènes, rendant nécessaires des protections respiratoires et autres. On ne peut prévoir quelle tendance prévaudra à moyen et à long terme. Une question de responsabilité se pose aussi en cas de défauts dans des produits qui ont été fabriqués dans des ateliers d’impression 3D décentralisés sur base de designs « open-source ».

La numérisation aura également de profondes conséquences pour les services publics : les services publics de nouvelle génération seront de plus en plus fournis par le biais de plateformes, les autorités locales et régionales faisant office d’intermédiaires, mettant en relation citoyens et prestataires et maintenant un service public de surveillance de modèles de prestations « collaboratifs » et même participatifs qui doivent encore être imaginés. L’introduction de dispositifs numériques pourrait changer la donne dans des domaines tels que la santé et l’aide sociale ou les services publics de l’emploi.

Nécessité de réglementer les plateformes en ligne au niveau européen

La CES estime que le développement rapide de l’utilisation de plateformes est de nature à affecter négativement les conditions de travail des travailleurs d’entreprises qui entrent en concurrence avec des entreprises ayant recours aux travailleurs des plateformes tant qu’il n’y aura pas de règles du jeu équitables. Certains semblent tentés de voir dans le marché du travail non réglementé que représentent les plateformes un outil approprié pour migrer vers un marché du travail plus large et à bas coûts offrant plus de flexibilité. La CES continue à considérer la concurrence croissante des bas salaires comme étant contradictoire par rapport à l’objectif d’une économie sociale de marché.

Le développement du travail participatif est en passe d’influencer le fonctionnement du marché du travail et le cadre des industries et des services en Europe et dans le monde. Une conséquence probable du travail participatif sera une tendance à une segmentation plus poussée du marché du travail européen – ce qui contredit l’annonce faite par la Commission européenne qui veut précisément lutter contre une plus grande segmentation. Si le travail participatif continue à se développer en l’absence de toute réglementation et sans la participation des travailleurs, il pourrait entraîner des changements institutionnels importants.

Classifier les travailleurs des plateformes comme indépendants est également contestable : la plupart des conditions d’emploi des plateformes imposent des modalités (telles que rémunération, conditions de travail et propriété intellectuelle) qui excluent la libre circulation de services entre parties indépendantes.

La majorité des utilisateurs des plateformes en ligne (en position d’employeurs) se trouvent aux États-Unis et en Europe ce qui fait de l’UE un cadre adéquat pour réglementer le secteur. Les plateformes qui ignorent le droit local du travail et qui offrent les salaires et les conditions de travail les plus mauvais ont un important avantage concurrentiel. Une certification « travail équitable » (semblable aux labels comme Fairtrade) pourrait changer cette situation et compléter un nouveau cadre d’action. Une certification ne peut cependant pas remplacer les réglementations publiques, la négociation collective et une législation efficace pour promouvoir la qualité du travail.

Améliorer les conditions d’emploi des plateformes exige une réglementation plus stricte et davantage de droits pour les travailleurs (voir annexe). Compte tenu du fait qu’il n’existe jusqu’à présent aucun cadre juridique européen spécifique pour le travail participatif (crowdwork) et les emplois de plateformes, la CES regrette que la Commission européenne continue à insister sur l’importance d’éviter une réglementation « prématurée » qui pourrait entraver, voire même étrangler l’économie « du partage » ou « collaborative » naissante tout en recommandant aux États membres de s’abstenir aussi de toute action « prématurée ». Cette approche aurait du sens si les cadres juridiques existants, tels que la directive sur le travail intérimaire[6], s’appliquaient à cette partie de l’économie, ce qui n’est pas le cas. La Commission s’est uniquement engagée à lever tous les obstacles qui pourraient freiner une économie des plateformes. La tâche politique proprement dite de coordination, de médiation et d’équilibre entre les intérêts sociaux et économiques actuels est laissée de côté, tout comme l’est l’établissement d’un cadre d’action.

Il est pourtant urgent de définir un cadre d’action européen comme le Parlement l’a récemment souligné dans un rapport qui, en particulier, « invite la Commission à examiner dans quelle mesure la directive relative au travail intérimaire (2008/104/EC) est applicable aux spécificités des plateformes en ligne »[7]. La CES déplore que la Commission n’ait pas encore réagi.

Dans un second rapport, le Parlement européen « prend acte de l’importance de la garantie du respect des droits sociaux et du travail ainsi que de l’application correcte de la législation en vigueur afin de soutenir plus avant les régimes de sécurité sociale et les emplois de qualité ». Il « appelle par ailleurs les États membres à mettre au point de nouveaux mécanismes de protection le cas échéant, afin de garantir la couverture sociale adéquate des employés des plateformes en ligne ainsi que l’égalité entre les sexes et la non-discrimination, et de partager les bonnes pratiques rencontrées à l’échelon européen ». Les grandes lignes des nouveaux défis numériques sont bien exposées mais il faut maintenant passer à l’action pour s’assurer que le travail des plateformes n’affaiblisse pas les normes de travail et sociales existantes et éviter la précarisation du travail. La CES demande à la Commission de vérifier d’urgence l’applicabilité de la directive sur le travail intérimaire et d’autres instruments juridiques à l’économie des plateformes. La CES réclame en outre que la Commission donne suite aux deux rapports du Parlement européen afin d’étudier la question plus en détail et de réglementer les plateformes en ligne. Le manque marquant de réactivité aux signaux très précis des syndicats, de la société civile et du Parlement européen pose problème. La Commission surévalue les bénéfices associés au marché numérique intérieur et minimise les questions les plus pertinentes pour les parties prenantes tels qu’emploi, cohésion sociale, concurrence loyale et solidarité. Le travail de plateforme ne doit pas devenir un travail de second rang.

 

Nécessité de financement pour soutenir les travailleurs et atténuer les effets négatifs de la numérisation

La stratégie européenne pour le marché unique numérique européen doit s’accompagner d’initiatives visant à lutter contre la fracture numérique au sein des États membres et entre États membres. Les institutions de l’UE doivent veiller à une convergence en soutenant la capacité des États membres à investir dans des infrastructures numériques adéquates et lancer des politiques industrielles solides pour les secteurs dans lesquels une numérisation et une automatisation plus poussées sont programmées ou attendues.

La stratégie pour le marché numérique doit éclairer une zone grise : elle doit commencer par développer une vision du pluralisme d’internet afin d’empêcher quelques oligopoles de bâtir des positions dominantes dans une économie de services numériques où le « gagnant rafle tout » (« Winner takes all ») qui serait un cas évident de dysfonctionnement du marché. Le risque de tolérer des oligopoles ou des monopoles réside en particulier dans les « préjugés des machines », par exemple les préjugés raciaux ou de genre, c.-à-d. les algorithmes et/ou les codes discriminants ou accordant un traitement spécial préférentiel et cela sans que les utilisateurs et les consommateurs en soient informés ou y consentent. De tels préjugés des machines peuvent mener à des abus et à un éparpillement de connaissances mais aussi polluer l’intelligence artificielle. Cela pourrait aboutir à une situation où seuls des spécialistes TIC seraient à même de pénétrer dans ce monde obscur et crypté. Transparence et contrôle démocratique sont nécessaires. L’intensité énergétique des processus numériques, et en particulier des technologies blockchain[8], est un problème croissant auquel il faut s’attaquer.

Des machines entièrement automatisées aux algorithmes contrôlant les processus de production, des drones transportant des composants dans les ateliers aux « cobots » assistant les travailleurs dans leurs tâches : l’intelligence artificielle et la robotique influenceront de plus en plus les conditions de travail et la vie des citoyens européens. Ces systèmes connaissent une croissance rapide dans un vide juridique et réglementaire, en particulier en matière de responsabilité concernant le comportement des machines et la protection des données des travailleurs. Un rapport adopté par le Parlement européen[9] et un autre du CESE[10] appellent à un examen européen approfondi de ces questions. La CES est prête à constituer des alliances avec ses affiliés et d’autres acteurs européens (institutions, employeurs, société civile) pour plancher sur la composante travail des défis posés par l’intelligence artificielle et la robotique. La CES estime que la primauté des humains sur les machines et l’intelligence artificielle (approche humain-aux-commandes) doit être établie en tant que principe éthique fondamental sous-tendant toute initiative future visant à réglementer les applications dans ces domaines.

A cet égard, l’UE doit en effet mieux soutenir les travailleurs affectés par la numérisation. La capacité du Fonds d’ajustement à la mondialisation (FEM) doit être renforcée et son budget augmenté dans le prochain budget européen post-2020 (cadre financier pluriannuel), et complétée à terme par des sources de financement innovantes basées sur une meilleure imposition des activités numériques.

Les autorités publiques doivent être à même de taxer la « valeur numérique » là où elle est créée et là où elle devrait être payée. Jusqu’à présent, les entreprises numériques telles que les GAFA[11] paient uniquement des impôts sur leurs bénéfices générés partout en Europe dans des pays qui offrent un régime fiscal privilégié où elles ont installé des filiales permanentes. La CES exhorte donc les institutions de l’UE et les États membres à lancer des initiatives permettant aux autorités publiques d’imposer le chiffre d’affaires (les revenus) des entreprises numériques réalisé sur le marché unique numérique européen. Le produit de cet impôt pourrait contribuer aux fonds européens tels que le FEM.

L’idée de ne pas corriger les dysfonctionnements du marché post festum mais d’organiser les marchés ex ante afin de redessiner la relation entre état et marché[12] doit être mise en pratique. Un grand nombre d’avancées technologiques issues de programmes de recherche financés par des fonds publics sont commercialisées par des entreprises privées qui ensuite exploitent les lacunes de la fiscalité pour éviter de payer l’impôt. Ce genre de comportement menace les efforts futurs de la recherche publique et est insoutenable. Si l’Etat recevait une part équitable de 1% du retour sur investissement lié à l’internet, il pourrait investir massivement (dans une politique industrielle durable, les technologies vertes, l’énergie éolienne et solaire, l’e-mobilité, etc.) tout en assurant un niveau d’emploi élevé.

Nécessité d’une action syndicale

Actuellement, les travailleurs des plateformes numériques sont considérés comme des indépendants et la représentation des travailleurs participatifs fait défaut dans tous les secteurs en raison du manque d’opportunités de coopérer avec leurs pairs sur les plateformes, du fait de la dispersion sur l’internet et de l’énorme concurrence entre eux ou encore de la réticence à exercer des droits collectifs qui pourrait mener à une exclusion de la plateforme (crainte de représailles).

Les syndicats testent actuellement différentes approches : l’approche « Paris-Bordeaux » pour organiser les chauffeurs et les coursiers, l’approche « Londres » pour lancer des actions en justice, l’approche « Frankfort » pour l’échange d’informations à travers un site web de « crowdwork équitable », l’approche « Vienne-Cologne » pour créer des comités d’entreprise dans les sociétés exploitant les plateformes, l’approche « Copenhague » pour entamer un dialogue avec les plateformes et les inclure dans des conventions collectives et l’approche « Stockholm » exhortant les autorités publiques à réviser le droit de la concurrence afin d’exclure les travailleurs de plateforme individuels du champ d’application de mesures anticartel. En nous tournant vers d’autres parties du monde, nous pourrions ajouter l’approche « Seattle » pour promouvoir et soutenir l’établissement de coopératives (telles que les Green Taxis – éco-taxis). En parallèle, des milliers d’approches fleurissent au niveau local dans les entreprises qui doivent être évaluées et discutées, ce qui est l’un des objectifs du projet en cours de la CES « Participation des travailleurs : clé d'une numérisation équitable »[13].

Face à une telle diversité d’approches et d’actions, la CES lancera bientôt un processus d’inventaire, d’apprentissage mutuel et d’échange d’idées d’action, d’expériences et de recherche basée sur la connaissance. Cela se fera par le biais du projet mentionné ci-dessus sur la participation des travailleurs et de celui sur le travail atypique et les travailleurs indépendants en coordination avec les fédérations syndicales européennes sur les initiatives de dialogue social possibles ou encore à travers des ateliers en coopération avec l’ETUI sur les « scénarios futurs » (8 novembre 2017) et sur le lancement d’un dialogue européen avec les plateformes (initiative « Sharers and Workers » - 23 janvier 2018). Il s’agit avant tout d’un travail exploratoire destiné à trouver des réponses sur quel niveau de réglementation (national, européen, sectoriel, entreprise, etc.) est le plus approprié et pour quel sujet (organisation, salaire minimum, sécurité sociale, fiscalité, droit à la déconnexion, définition du travailleur et de l’indépendant, etc.). La CES animera, avec des eurodéputés et des membres du CESE, une réunion sur le développement de l’intelligence artificielle et de la robotique. L’objectif de ce groupe, associant des affiliés de la CES et d’autres parties prenantes, est d’élaborer les solutions et les cadres les plus pertinents pour répondre aux réalités de l’intelligence artificielle. La CES y participera activement avec pour but de garantir les droits, la vie privée et la dignité des travailleurs dans un monde du travail numérique.

La principale proposition de la CES consiste en un cadre juridique européen pour prévenir la concurrence déloyale et résoudre les problèmes qui y sont liés en matière d’emploi et de travail mais aussi de fiscalité et de sécurité sociale. En attendant que la Commission européenne abandonne son attitude attentiste, les autorités publiques des États membres pourraient commencer à jouer un rôle clé dans ce domaine (voir annexe 1).

S’agissant du dialogue social, la CES a approuvé un mandat pour le prochain programme de travail des partenaires sociaux dans lequel nous proposons de lancer une négociation à propos de la numérisation avec les organisations patronales européennes. La balle est maintenant dans leur camp. Pour les plateformes en ligne, la CES et l’ETUI sont prêts à créer un cadre de dialogue (social) entre syndicats et plateformes en ligne à travers la prochaine initiative « Sharers and Workers ». Il est également primordial que les institutions de l’UE engagent un débat européen sur le cadre d’action en matière de numérisation avec toutes les parties prenantes concernées, singulièrement les partenaires sociaux[14]. La création d’une agence numérique européenne en tant qu’expert pluraliste et de partie prenante pour progresser vers une numérisation équitable avec l’implication des partenaires sociaux serait un pas dans la bonne direction.

 

 

 

Annexe 1

 

 

Les autorités publiques pourraient se voir confier plusieurs tâches : un examen de l’équité des conditions des plateformes en ligne pour assurer qu’elles soient conformes à un certain nombre de normes minimum afin de prévenir une concurrence déloyale, et particulièrement les modalités suivantes :

 

  • faire respecter le droit du travail et le salaire minimum qu’il soit fixé légalement ou par convention collective selon les règles et pratiques nationales ;

 

  • garantir des conditions de travail équitables ;

 

  • notifier les obligations fiscales et faciliter un accès abordable à la protection sociale (soins de santé, compensation en cas d’accident de travail, pension)[15];

 

  • reconnaître le statut d’employeur d’une part et présumer du statut de travailleur d’autre part (sauf preuve d’un véritable statut d’indépendant) afin de réduire les incitants en faveur du travail indépendant ;

 

  • assurer que le droit de la concurrence n’empêche pas les vrais indépendants et les travailleurs freelance de s’organiser et de négocier des conventions collectives ;

 

  • assurer la portabilité des classements et des droits sociaux ;

 

  • garantir le droit d’organisation, de mener des actions collectives et de négocier des conventions collectives ;

 

  • garantir la protection contre les discriminations, les abus et les licenciements injustifiés ;

 

  • assurer la transparence par l’identification de l’employeur et des collègues ;

 

  • garantir la protection de la vie privée et des données personnelles ;

 

  • prévoir une assurance responsabilité pour dommages à des tiers ;

 

  • contrôler les algorithmes pour éviter les discriminations ;

 

  • interdire les clauses d’exclusivité empêchant les travailleurs de collaborer avec d’autres plateformes.

 


[1] https://www.etuc.org/fr/documents/r%C3%A9solution-ces-sur-la-num%C3%A9risation-vers-un-travail-num%C3%A9rique-%C3%A9quitable#.WgbWpIiDPIV

[2] Nous essayons d’éviter le jargon tel que « économie du partage », « économie collaborative », « économie à la demande » ou encore « gig economy » –  89% des Américains n’ont jamais entendu parler d’une « gig economy » ; 73% ne sont pas familiers du terme « économie du partage ».

[3] Une étude parue en 2017 durant le sommet du Forum international des transports soutient que les camions autonomes sans chauffeur pourraient, d’ici à 2030, causer une perte allant jusqu’à 4,4 millions d’emplois sur un total de 6,4 millions d’emplois de chauffeurs (https://www.itf-oecd.org/sites/default/files/docs/managing-transition-driverless-road-freight-transport.pdf).

[4] Selon le PNUD, plus d’un milliard de personnes rejoindront le marché du travail dans les 3 prochaines années et entreront en compétition sur le marché mondial à travers les plateformes en ligne.

[5] OSHA p. 5.

[6] Qui donne droit aux travailleurs intérimaires à l’égalité de traitement, aux mêmes conditions de base de travail et d’emploi que celles s’appliquant aux travailleurs ou aux employés sous contrat interne normal.

[7] Sur l’économie collaborative: http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A8-2017-0195+0+DOC+XML+V0//FR; sur les plateformes en ligne : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2017-0272+0+DOC+XML+V0//FR

Communiqué de presse de la CES : https://www.etuc.org/fr/presse/la-ces-soutient-deux-rapports-de-lue-sur-les-plateformes-en-ligne-et-l%C3%A9conomie-collaborative#.WglW_4iDPIU

[8] En 2014, la chaîne de blocs Bitcoin a consommé autant d’électricité que l’Irlande

http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2017/581948/EPRS_IDA(2017)581948_EN.pdf

[9] Contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2017-0051+0+DOC+XML+V0//FR (Mady Delvaux)

[10] http://www.eesc.europa.eu/fr/our-work/opinions-information-reports/opinions/lintelligence-artificielle

[11] Google, Apple, Facebook, Amazon

[12] De Mariana Mazzucato, Directrice de l’Institut pour l'innovation et l'intérêt public, University College London.

[13] Un questionnaire a été envoyé par la CES aux affiliés pour récolter des informations sur les initiatives liées à la transition vers une économie numérique en général et sur le travail participatif en particulier :http://survey.fairdigi.eu/index.php/137518

[14] Une récente étude de l’université d’Oxford a montré que les travailleurs confrontés à l’automatisation avaient eu une plus forte propension à voter pour Donald Trump ; l’automatisation a été une réelle cause d’inquiétude pour les électeurs ; les pays les plus exposés à l’automatisation sont déjà les plus instables politiquement : http://www.oxfordmartin.ox.ac.uk/downloads/academic/Political%20Machinery-Automation%20Anxiety%20and%20the%202016%20U_S_%20Presidential%20Election_230712.pdf

[15] Référence territoriale et responsabilité en matière d’impôts et de cotisations de sécurité sociale : lorsqu’un travail est effectué avec une référence territoriale à un État membre, c.-à-d. si des intermédiaires, des clients ou des entreprises sont implantés dans cet État membre, les transactions sur les plateformes pourraient alors être soumises aux cotisations de sécurité sociale correspondantes.