Résolution CES sur la stratégie pour la réduction à long terme des émissions de gaz à effet de serre dans l’UE : avis de la CES
Adoptée au Comité Exécutif des 25 et 26 juin 2018
Contexte
L’Accord de Paris a fixé des objectifs clairs pour les pays, et notamment : 1/Maintenir l’augmentation de la température moyenne mondiale nettement sous les 2 °C et poursuivre les efforts pour maintenir l’augmentation sous 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et 2/Atteindre un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions par les puits au cours de ce siècle, sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et des efforts pour éradiquer la pauvreté.
Pour atteindre ces objectifs, les pays devront soumettre tous les cinq ans des « Contributions déterminées au niveau national » (CDN) qui seront compilées pour une évaluation périodique appelée « bilan global ». L’accord prévoit également des « stratégies de développement à long terme à faibles émissions de gaz à effet de serre » (LEDS), que les pays devraient s’efforcer d’adopter et de communiquer. Si le texte de l’accord lui-même reste muet sur la portée et le contenu de ces stratégies, leur rôle principal est de guider l’action nationale en matière de climat dans une perspective à plus long terme. Les mesures prises avant 2020doivent l’être en gardant un œil sur l’avenir. Les actions actuelles doivent être au service des objectifs à long terme inscrits dans l’Accord de Paris.
En ce qui concerne l’Union européenne, le Conseil européen de mars 2018 a donné mandat à la Commission européenne de présenter une proposition de stratégie à long terme au premier trimestre de 2019. La préparation de ce document crucial pour l’avenir de l’action européenne en faveur du climat offre l’occasion de mettre à jour la stratégie à long terme de l’UE sur la base de l’engagement de l’accord de Paris et de fournir une vision plus globale de la transition vers une économie à faibles émissions de gaz à effet de serre.
L’objectif de ce document, qui s’appuie principalement sur les documents politiques existants de la CES sur le sujet, est de rappeler les principaux messages des syndicats concernant l’action climatique dans l’UE et au-delà.
Un niveau d’ambition en cohérence avec les engagements de Paris
Comme on l’a rappelé plus haut, l’un des principaux objectifs que les pays se sont engagés à atteindre dans le cadre de l’accord de Paris est d’atteindre un équilibre entre les émissions d’origine humaine et l’absorption des gaz à effet de serre au plus tard à la fin de ce siècle. L’accord stipule également que cet objectif doit tenir compte de l’équité et de la nécessité d’éradiquer la pauvreté. En d’autres termes, même si la décarbonation profonde et complète est l’objectif commun des pays, son rythme variera en fonction de la situation économique et des ressources disponibles.
Les conséquences exactes de cet engagement pour les émissions de gaz à effet de serre de l’UE devront être clarifiées par la LEDS de l’UE en préparation pour 2019. Sur la base des meilleures données scientifiques disponibles et du principe d’équité, la LEDS doit avant tout fixer une date sans ambiguïté à laquelle l’UE doit devenir une région à « zéro émission nette »[1].
Cette date doit correspondre à un objectif juridiquement contraignant pour l’UE et ses États membres. Compte tenu du sentiment d’urgence omniprésent qui accompagne la science du climat depuis l’adoption du document en 2011, l’objectif supérieur de la « Feuille de route pour une économie compétitive faible en carbone à l’horizon 2050 » doit être considéré comme le seuil minimum d’ambition pour l’action de l’UE en matière de climat. En d’autres termes, l’objectif principal de la LEDS doit être d’atteindre « zéro émission nette » pour 2050.
Avec cette boussole, la LEDS devrait fournir un calendrier clair pour que l’UE atteigne « zéro émission nette » pour 2050, avec des étapes crédibles pour 2030 et 2040, en prenant en considération le « principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives » des pays européens, au vu des différents contextes nationaux. Ces jalons devraient être basés sur le potentiel de réduction des émissions des technologies existantes les plus performantes et ne devraient pas parier sur de possibles percés technologiques futures à ce stade théoriques. Ils devraient être revus dans les contributions nationales (CDN) à la suite de la publication de rapports du GIEC fournissant de nouvelles données scientifiques. Un dépassement temporaire ne peut pas être une option, car un tel pari aveugle pourrait compromettre la capacité des générations futures à faire face au changement climatique et à ses conséquences. Atteindre ces objectifs ne sera possible qu’en encourageant les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, qui doivent devenir la base de la stratégie d’approvisionnement énergétique de l’UE. En s’appuyant sur le Paquet « Une énergie propre pour tous les Européens » et prenant en compte le besoin de réviser à la hausse les objectifs 2030[2], la LEDS doit accélérer la transition énergétique de l’UE.
Pour une vision politique renouvelée afin de construire une économie durable et créer des emplois de qualité
Les objectifs chiffrés sont de la plus haute importance pour guider l’action politique, mais ils ne constituent pas une politique ou une vision. La transition vers une Europe à zéro émission nette ne sera acceptée que si elle va de pair avec un modèle économique et social qui rend la prospérité accessible à tous. La réduction des émissions doit être la conséquence de l’investissement et de l’innovation ainsi que du changement radical des modes de production et de consommation, respectant les limites des ressources planétaires et basée sur la distribution équitable des biens et richesses entre les genres, les générations et les peuples. Le déploiement massif des énergies renouvelables, des progrès spectaculaires en matière d’économie d’énergie, de nouveaux modèles économiques, de nouveaux produits et de nouvelles habitudes de consommation doivent permettre à l’économie de devenir beaucoup plus efficace et circulaire. La LEDS doit fournir une vision politique de l’économie future de l’UE et couvrir au moins les dimensions suivantes : besoins en investissements, développements technologiques, compétences, politique commerciale et rôle des services publics et en particulier celui des gouvernements locaux, régionaux ou nationaux dans la gestion publique de l’énergie.
La LEDS devrait quantifier clairement les besoins d’investissement pour atteindre une économie à zéro émission nette et proposer de mettre en place sur cette base un « plan d’investissement climatique de l’UE » que la prochaine Commission européenne devrait mettre en œuvre. Compte tenu des estimations récentes de la Cour des comptes européenne[3], ainsi que du rapport du groupe d’experts de haut niveau sur le financement durable[4], un tel plan devrait intégrer tous les instruments et institutions financiers de l’UE dans une stratégie d’investissement cohérente et à long terme pour parvenir à une émission à zéro émission nette[5].
La LEDS ne pourra pas résoudre tous les problèmes, mais elle doit s’efforcer d’esquisser l’avenir des secteurs les plus émetteurs. La certitude est importante pour les investisseurs, mais elle l’est aussi pour les travailleurs et les communautés auxquelles ils appartiennent. Pour anticiper le changement, des feuilles de route sectorielles devront être préparées de manière plus précise et plus systématique, avec la participation active des partenaires sociaux et la participation démocratique de la population. Ces feuilles de route devraient faire le point sur les performances en matière d’émissions des technologies existantes ainsi que sur les innovations probables. Elles devraient également identifier des modèles économiques alternatifs et la manière dont ces secteurs peuvent évoluer vers un modèle circulaire et à faible émission de carbone.
Le développement des compétences doit également être anticipé par le biais des feuilles de route sectorielles. Là encore, l’implication des partenaires sociaux est cruciale pour identifier les besoins ainsi que pour concevoir et mettre en œuvre des initiatives de verdissement des compétences.
Des rapports récents ont confirmé le potentiel d’emploi que représente le passage à une économie verte et à faibles émissions[6]. La LEDS devrait fournir des éléments concrets pour maximiser la création d’emplois dans l’économie à faibles émissions de gaz à effet de serre, tout en veillant à ce que les emplois créés soient des emplois de qualité[7]. La qualité de l’emploi est importante non seulement pour les travailleurs mais aussi pour améliorer la compétitivité et la productivité de l’économie verte.
Une transition juste pour les travailleurs
Du point de vue des travailleurs, la transition va profondément remodeler le marché du travail de manière à créer à la fois de nouveaux risques et de nouvelles opportunités : de nouveaux emplois mais aussi, dans certains cas, la destruction d’emplois, le remplacement de certaines professions existantes par de nouvelles, ainsi que le besoin de nouvelles compétences et aptitudes. Certains secteurs et régions, en particulier ceux qui dépendent d’industries à forte intensité de carbone, pourront être touchés plus négativement que d’autres. Anticiper ces tendances et leur impact sur les travailleurs est au cœur des activités syndicales. La gouvernance climatique et la planification des politiques connexes offrent l’occasion d’élaborer un cadre politique global de transition juste[8].
Pour être cohérent avec la devise « Une UE qui protège, renforce et défend », la LEDS doit fournir une feuille de route de l’UE pour une transition juste. La décarbonation complète aura un impact sur le marché du travail à bien des égards et ces impacts doivent être mieux anticipés. L’UE a ici un rôle évident à jouer dans l’intégration de la transition juste dans le cadre financier pluriannuel pour l’après-2021[9], en soutenant mieux les travailleurs des régions et des secteurs à risque en raison de la décarbonation. La Plateforme européenne pour les régions charbonnières en transition représente une première étape positive mais ces régions méritent un soutien européen plus concret via une stratégie spécifique et des fonds dédiés. L’UE doit aussi inciter les États membres à mieux intégrer la perspective des travailleurs dans la planification de leur politique climatique nationale, et amener les États membres à utiliser à cette fin les recettes générées par le système d’échange de quotas d’émission (SCEQE), ou, pour les Etats membres éligibles, les ressources du Fonds de modernisation. Finalement, la LEDS devra identifier les mesures concrètes permettant de renforcer le dialogue social autour des politiques de décarbonation et de leur impact sur l’emploi, ainsi qu’inciter les industries du secteurs de l’énergie à investir pour créer des emplois de qualité dans les régions impactées par la décarbonation.
Pour aider ses membres à faire face à la gouvernance de l’action climatique, la CES a récemment publié un guide « Impliquer les syndicats dans l’action climatique pour mettre en place une transition juste » qui fournit de plus amples informations sur la façon dont les syndicats voient la mise en œuvre de la transition juste[10].
Commerce international et des règles du jeu équitables
Pour lutter contre le changement climatique, il faut passer rapidement et à l’échelle mondiale à une économie à zéro émission nette. Pour l’UE, être à la pointe de cette transition crée de nombreuses opportunités économiques et amène d’importants co-bénéfices. Mais pour une série de secteurs qui combinent une intensité élevée de CO2 et une intensité commerciale élevée, une décarbonation unilatérale de l’UE pourrait les exposer, ainsi que leurs travailleurs, à un désavantage concurrentiel exacerbé par les coûts de l’action climatique, sachant le contexte de dumping et de montée des politiques protectionnistes, et connaissant le besoin pour les industries intensives en énergie de bénéficier de tarifs énergétiques compétitifs. Á cet égard, la LEDS doit aussi prévoir la modernisation du système énergétique afin de rendre celui-ci capable de fournir une énergie sûre, suffisante, et durable, à un coût qui soit abordable et prévisible tant pour les citoyens que pour les entreprises.
La LEDS doit également s’attaquer à ces risques. La LEDS de l’UE devrait proposer une stratégie à plus long terme combinant des instruments offensifs et des instruments plus défensifs pour soutenir les industries de l’UE lorsqu’elles sont confrontées à une situation de dumping. Sur le long terme, investir dans l’innovation pour déployer les technologies bas carbone de rupture, et améliorer drastiquement l’efficacité ressource et énergie, doit fournir la pierre angulaire de la stratégie « zéro émission nette » de l’industrie de l’UE. En ce qui concerne la stratégie défensive, certaines mesures ont déjà été prises au niveau de l’UE, comme la directive SCEQE récemment révisée, qui contient une série de mécanismes visant à protéger les industries de l’UE contre le risque de « fuite de carbone » pour la période 2021-2030. En outre, la modernisation récente des instruments de défense commerciale va dans la bonne direction en tenant compte des critères environnementaux et sociaux pour calculer les mesures antidumping. Le secteur européen de l’acier ou l’industrie européenne des cellules photovoltaïques étaient des secteurs industriels florissants qui ont été sévèrement touchés par la concurrence déloyale de pays non membres de l’UE. Ces deux exemples montrent que des mesures défensives sont fortement nécessaires pour protéger l’industrie européenne et garantir des conditions de concurrence équitables sans toutefois renoncer à des politiques ambitieuses de réduction des émissions et sans générer d’effets d’aubaine.
La LEDS doit également fournir des éclaircissements sur la manière dont l’UE devrait s’efforcer de conserver son leadership dans les technologies qui seront cruciales dans l’économie à faibles émissions de gaz à effet de serre.
Droit à l’énergie
Selon l’enquête de l’UE sur les revenus et les conditions de vie (EU SILC), 54 millions de citoyens européens (10,8 % de la population de l’UE) n’ont pas été en mesure de garder leur logement suffisamment au chaud en 2012. Des tendances similaires ont été signalées en ce qui concerne le retard de paiement des factures d’énergie ou la présence de mauvaises conditions de logement. Les données disponibles mettent en évidence un problème particulièrement répandu dans les États membres d’Europe centrale, d’Europe de l’Est et d’Europe du Sud.
La LEDS doit proposer une stratégie pour éradiquer la pauvreté énergétique en Europe, conformément à l’ODD n° 7, et pour assurer un droit à l’énergie pour tous les citoyens européens. La CES estime que les exigences de la coalition pour le droit à l’énergie devraient être l’épine dorsale d’une stratégie européenne de lutte contre la pauvreté énergétique : les États membres devraient être autorisés à utiliser des prix réglementés pour garantir que les besoins énergétiques de base sont couverts, les déconnexions devraient être interdites, et les autorités publiques devraient donner la priorité aux investissements dans l’efficacité énergétique pour les ménages à faible revenu. Générer davantage d’énergie en investissant massivement dans la production d’électricité décarbonée et dans les mesures d’économie d’énergie est aussi un moyen efficace de réduire le coût de l’énergie.