Bruxelles, 01-02/12/2010
En dépit de l'importante bataille du mouvement syndical contre le contenu de la directive Bolkestein, dans le sens de garantir aux travailleurs détachés l'application de conditions d'emploi et de travail dans le pays où l'activité a lieu, des jugements différents dans la Cour Européenne de Justice (Laval, Viking, Ruffert, Luxembourg et Allemagne) ont mis en évidence l'objectif que nous voulions atteindre.
Ces arrêts ont mis en évidence les lacunes de notre cadre juridique actuel dans la hiérarchie des droits sociaux fondamentaux et des libertés économiques permettant, de facto, le dumping social
Face à cette situation, la CES réclame un Protocole de Progrès Social, à inclure dans les traités, afin de préciser très clairement que toutes les libertés économiques et les règles de compétition ne peuvent pas avoir la priorité par rapport aux droits fondamentaux et le progrès social et qu’en cas de conflits les droits sociaux doivent l’emporter sur le reste. Nous voulons donc intégrer ceci dans le concept le plus large du progrès social et de l’harmonisation vers le haut des conditions de travail et des systèmes sociaux.
En outre, la CES a demandé une révision urgente de la directive sur le détachement des travailleurs.
Dans ce cadre, qui nous préoccupe grandement, la Commission européenne a présenté de nouvelles initiatives législatives qui, au lieu de corriger les lacunes identifiées, amplifient à nouveau la fragmentation du marché du travail, à travers cette fois des propositions de directives consacrées à la politique d'immigration,
Il est inacceptable qu’après les 5 décisions bien connues de la CJE, la Commission s’obstine à légiférer avec la volonté de libéraliser le marché unique, en favorisant la concurrence déloyale, en sapant le principe d’égalité de traitement des différents groupes de travailleurs et en tentant d’éroder le principe du pays hôte. Et ce en dépit du nouveau cadre légal constitué par le traité de Lisbonne, qui garantit une économie de marché sociale et exige du législateur européen qu’il œuvre au progrès social, et par la Charte européenne des droits fondamentaux, qui garantit l’égalité (art. 20), la non-discrimination (art. 21 par.2), les négociations collectives et le droit de grève (art. 28).
La tendance actuelle la tendance des institutions européennes consiste à limiter l’autonomie de négociation des partenaires sociaux et à ne reconnaître que les conventions collectives universellement ou généralement applicables et non celles conclues au niveau régional, sectoriel ou dans l’entreprise (cf le cas Ruffert).
Ces nouvelles propositions sont :
- La Directive établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un État membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État membre
- La Directive établissant les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d'un emploi saisonnier
- La Directive établissant les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d'un détachement intragroupe
La première question qui nous alerte est le choix de la base juridique. En effet, les directives proposées ne sont fondées que sur l'art. 79 TFUE (immigration), et pourtant elles ont un impact énorme sur les marchés du travail et les systèmes de relations industrielles dans l'UE et les États membres. Les textes ne sont pas seulement des outils pour gérer les flux de travailleurs migrants mais aussi des instruments qui définissent les droits de ces travailleurs dans une relation de travail et qui devraient fournir une meilleure protection à ces travailleurs.
Cela devrait se refléter dans le choix de la base juridique.
De par le choix d'une base juridique unique portant spécifiquement sur l'immigration, la Commission a évité la consultation des partenaires sociaux prévue à l'Art. 154 TFUE. Des directives qui ont un fort impact sur le marché du travail européen ne peuvent pas être proposées et discutées par le législateur européen sans consultation des partenaires sociaux et sans un véritable débat sur les conséquences de ces propositions pour le marché du travail. Par conséquent, le CES propose d'ajouter la politique sociale comme base juridique et d'organiser une audition au Parlement européen afin de mettre en évidence les conséquences pour l'évolution du marché du travail. Comment ce marché européen du travail doit-il être structuré et par qui? En ce qui concerne le cadre juridique pour la protection des droits des travailleurs, il doit y avoir une plus grande cohérence, comment expliquer que les travailleurs saisonniers, postés et ICT sont exclus du permis unique? Il faut un instrument horizontal qui réglemente les questions de principe pour les travailleurs à l'intérieur de l'UE et pour les travailleurs en dehors de la migration dans l'UE basé sur les principes de l'égalité de traitement et de lutte contre la discrimination.
La CES juge qu’il est primordial que toute initiative prise dans le domaine de la migration soit cohérente avec les politiques plus larges de l’emploi et de développement et qu’il faut garantir l’inclusion sociale et le développement durable dans les pays de départ et dans les pays d’accueil.
Les propositions dans le domaine de la migration économique doivent absolument déterminer quels sont les besoins réels de promouvoir une nouvelle augmentation du nombre de travailleurs migrants des pays tiers dans les professions et secteurs concernés, s’il est opportun maintenant d’introduire des mesures visant à accroitre l’afflux de tels groupes migrants, et si des mesures suffisantes ont été prises au niveau de l’UE et des Etats membres afin de créer les conditions sociales appropriées afin d’accompagner dans tous les aspects sociaux-familiaux un tel mouvement et de lancer aussi des initiatives afin d’éviter des réactions protectionnistes et des dérives qui pourrait en découler.
Dans ce contexte marqué par la crise économique et les prévisions d’une augmentation du nombre des demandeurs d’emploi, la CES et ses organisations membres doutent fortement que la Commission ait bien évalué les enjeux liés á cette nouvelle législation.
La CES demande, par conséquent, de reconsidérer l’opportunité, sur le plan politique, de présenter maintenant une initiative en matière d’immigration sur le travail saisonnier et recommande vivement de considérer, en premier lieu, l’introduction des mesures nécessaires d’accompagnement sur le plan social, telles que :
- Le renforcement du cadre légal, sur les plans national et européen, pour la protection sociale et professionnelle des travailleurs saisonniers en général, par exemple via une directive européenne de politique sociale sur le travail saisonnier, traitant des normes sociales et de travail minimales, applicables au travail saisonnier au sein de l’UE, assurant une égalité de traitement entre les travailleurs saisonniers, locaux et migrants, et promouvant la convergence vers le haut des conditions de vie et de travail de tous les travailleurs saisonniers ;
- Un instrument de l’UE relatif aux responsabilités respectives des principaux contractants et des sous-traitants et intermédiaires, introduisant la chaîne de responsabilité et/ou la responsabilité conjointe et solidaire sur les salaires, les conditions de travail (et la sécurité sociale et les impôts) ;
- Des activités et initiatives de l’UE visant à améliorer le respect des salaires et des conditions de travail, à renforcer l’inspection du travail au niveau national et à garantir une meilleure coordination à l’échelle de l’UE ;
- La mise en œuvre et l’application de la nouvelle directive sur le travail intérimaire.
Directive établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un État membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État membre
La CES est consciente des efforts déployés par l’UE pour élaborer une politique d’immigration globale, équitable et basée sur les droits. Cependant, le projet de directive ne tient compte que partiellement de notre demande de permettre à tous les citoyens de l’Union européenne et aux ressortissants de pays tiers résidant légalement dans l’UE, y compris les réfugiés, d’avoir pleinement accès au marché de l’emploi de l’UE (art. 3.1).
La CES, considère que certains aspects de cette proposition sont assez problématiques vu le manque d’évaluation de l’impact éventuel que certaines mesures pourraient avoir sur le marché de l’emploi, sur les relations industrielles et sur la cohésion sociale, et surtout l’exclusion des certains groupes du cadre général de droits, notamment les travailleurs détachés, des personnes physiques en rapport avec des activités de commerce et d’investissement, des travailleurs saisonniers, des demandeurs d’asile et des personnes sous protection subsidiaire.
Le fait de briser le principe de l’égalité de traitement, de restreindre les droits et de ne pas établir de garanties de protection des conditions de travail et des conditions sociales des travailleurs migrants et locaux peut conduire à une situation compliquée dans nos sociétés.
Mais il continue surtout à ouvrir le périlleux chemin de la fragmentation du marché du travail et, d’une certaine manière l’acceptation du dumping sociale dans les relations du travail.
Nous sommes pleinement conscients de l’avancée de la situation des débats de la proposition de la directive tant au Parlement européen et qu’au Conseil, mais étant donné la grande importance que la CES donne à cette proposition, nous voulons soutenir, en particulier, les propositions de la Commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européenne, dans le sens d’inclure tous les travailleurs, sans exception, dans le Chapitre III - Le droit à l'égalité de traitement.
Il est pour nous fondamental d’inclure dans la directive tous les travailleurs et de les mettre sur pied d'égalité de traitement et de non-discrimination dans l'emploi et les normes sociales du lieu où l'activité est exercée.
A cet effet, la CES reprendra contact avec tous les acteurs institutionnels et lancera une campagne d’information et débat dans la société, afin que cette importante question soit aussi discutée dans l’ensemble du mouvement syndical, dans le monde politique et dans l’opinion publique en générale.
Directive travail saisonnier
Comme nous l’avons déjà mentionné précédemment, cette proposition de Directive n’a pas fait l’objet d’une consultation des partenaires sociaux, puisque la Commission a utilisé, comme base juridique, l’article 79 TFUE (immigration), comme si cette proposition n’avait pas d’impact direct sur le marché du travail.
Cette initiative suscite de grandes interrogations quant à son objectif, aux secteurs, et aux principes d’égalité de traitement et non-discrimination, d’autant que le chômage ne cesse de s’aggraver en Europe.
Nous nous trouvons face à une nouvelle tentative de fragmentation du marché du travail et de segmentation de la main d’œuvre, initiative qui tend à réduire l’autonomie de négociation des partenaires sociaux.
Nous aurions voulu que la Commission ait commencé auparavant à clarifier
• le travail saisonnier en général, quant aux conditions et normes de travail et sociales ;
• la responsabilité conjointe et solidaire des entreprises principales et les sous-traitants et intermédiaires ;
• une plus grande garantie de respect des conditions de travail et de protection sociale au niveau européen.
La proposition crée aussi beaucoup d’incertitudes quant:
• A l’absence du rôle des partenaires sociaux dans la mise en œuvre de cette directive
• Au Champ d’application : il n’y a pas de définition des secteurs. On ignore si elle s’adresse aux travaux stationnaires ou aussi dans la production ou services en général.
• Aux garanties d’un travail décent, dans des conditions d’égalité de traitement et de non discrimination basées sur l’application des conventions collectives
• Aux contrôles préventifs propres des Etats membres qui doivent être rendus possibles. Le délai de contrôle proposé (de 30 jours) est une farce, qui rend impossible tout contrôle concret. Il doit également exister des garanties suffisantes pour que les « single points of contact » disposent des équipements, des moyens et des compétences nécessaires pour exercer correctement leur fonction de contrôle ;
• A la responsabilité de l’entrepreneur principal, des sous-traitants et des intermédiaires.
• Au manque de mesures et de sanctions préventives concrètes pour les employeurs frauduleux et de protection réelle pour les travailleurs
• Et en général, au manque de mesures pour assurer une mise en œuvre une application et un contrôle adéquat.
Ces raisons nous invitent à considérer cette proposition telle quelle comme non recevable et nous demandons au Conseil et Parlement soit de rejeter une telle initiative ou le cas échéant, soit de la réviser profondément, avec une consultation préalable des partenaires sociaux et un débat ouvert et publique.
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Directive établissant les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d'un détachement intragroupe}}
La commission présente le projet de directive comme la déclinaison des engagements pris par l’Union européenne dans le cadre de l’Accord Général sur le Commerce et les Services (AGCS) négocié au niveau de l’OMC.
Cette nouvelle proposition concerne les ressortissants de pays qui n’appartiennent pas à l’Union européenne, qui sont employés par une entreprise établie en dehors de l’Union européenne et qui sont détachés temporairement dans une de ses entités située sur le territoire européen. Ce type de détachement doit donc être distingué de celui réglé par la directive sur le «détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services», adoptée en 1996, qui porte sur les détachements à l’intérieur de l’Union européenne et se fonde sur les règles du traité relatives au marché intérieur, alors que le projet de directive présenté s’appuie sur les dispositions du traité consacrées à l’immigration.
Le champ d’application est beaucoup trop large: en effet la directive pourrait être utilisée dans tous les secteurs et aucune restriction n'est faite pour le type ou la taille des entreprises voulant utiliser ce nouvel outil
Les définitions des dirigeants et de spécialistes devraient être clairement limitées aux hautement qualifiés disposant de compétences particulières dont les capacités personnelles sont indispensables à la performance correcte des activités spécifiques de l’entreprise du pays d’accueil.
Cela signifie que le critère d’admission doit être les qualifications et le poste de travail au sein de l’entreprise et non le salaire. Afin d’éviter toute concurrence déloyale, les personnes transférées au sein d’une même société doivent bénéficier d’un salaire égal et des mêmes conditions de travail qu’un travailleur local occupant un emploi identique ou similaire.
D’autre part, un critère essentiel pour l'admission est le besoin de démontrer une occupation d’un emploi dans le même groupe d'entreprises, au moins pendant les douze mois immédiatement antérieurs à la date du détachement intragroupe. Ce critère n’est pas une obligation pour les Etats membres. Il est laissé à leurs choix dans le processus de transposition. Cela signifierait que certains pays auraient des règles nationales plus strictes que d'autres et cela pourrait ouvrir des possibilités d’adaptation des règles nationales à une certaine forme de «forum-shopping».
Cependant, nous avons des doutes quant à la nécessité d’un instrument spécifique relatif aux personnes transférées au sein d’une même société et nous demandons pourquoi la question de l’accès des cadres hautement qualifiés des entreprises multinationales ne pourrait pas être abordée dans le cadre de la «Directive relative à la carte bleue européenne», qui établirait également les dispositions nécessaires en matière d’égalité de traitement.
La CES estime que la relation possible avec la directive sur le détachement est très problématique et insiste pour que tout soit mis en œuvre afin d’éviter de compliquer davantage ce dossier déjà explosif.
Or les conditions de travail des travailleurs sous régime ICT seront alignées sur les conditions de travail des travailleurs détachés comme prévu dans la législation ou par les conventions collectives d'application générale. Pour la CES, les travailleurs sous régime ICT doivent bénéficier du principe d’égalité de traitement que les travailleurs locaux. Les propositions européennes qui consistent à se limiter aux conventions collectives d’application générale (comme la proposition reprend les termes de la directive détachement en fonction de l’interprétation restrictive de la CEJ -(cas Rüffert)- deviennent un moyen de remettre en question les systèmes de négociations collectives nationaux.
De plus, la directive ne prévoit pas de mécanisme de contrôle ni de sanctions ni de droit de contrôle des syndicats comme cela existe dans certains pays.
La directive devrait en outre garantir les droits d’information, consultation ou participation des comités d’entreprise au niveau national.
Quant à l’inclusion des stagiaires rémunérés, la CES estime que ce point est très problématique. Bien que nous reconnaissions l’importance de garantir la mobilité des connaissances et des compétences, nous voulons souligner que les stagiaires sont potentiellement très vulnérables à l’exploitation et aux pratiques abusives, ce qui peut également entraîner une concurrence déloyale. La clef du succès des programmes internationaux d’échange de stagiaires est par conséquent de veiller à ce que les stagiaires rémunérés soient véritablement «formés» et ne constituent pas en réalité des travailleurs intérimaires déguisés et qu’il existe un suivi étroit afin d’établir si leur rémunération et leur traitement respectent les normes généralement appliquées aux travailleurs similaires du pays d’accueil.
Résolution de la CES pour téléchargement
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