Sociétés à responsabilité limitée à un seul associé: Position de la CES

Synthèse:

 

•           La proposition de Directive SUP (Sociétés unipersonnelles) soulève de graves inquiétudes concernant l’évasion fiscale, les droits des travailleurs et la gouvernance d’entreprise durable. Si elle est adoptée, cette directive laissera la porte ouverte aux entreprises de toutes tailles pour minimiser leurs responsabilités au titre du droit national.

•           Généralement, les vrais PME, surtout si ce sont des sociétés unipersonnelles, conduisent leurs activités au niveau local. La valeur ajoutée d’une intervention de l’UE pour de telles entreprises est dès lors très discutable. De plus, la CES ne peut accepter que les règles simplifiées contenues dans la SUP(1) puissent être détournées par de grandes entreprises pour éluder des formes de droit communautaire plus élaborées telles que celles applicables à la Société européenne (la SE).

•           La CES rejette la directive SUP et demande avec insistance aux institutions de l’UE de travailler avec les partenaires sociaux pour chercher des solutions appropriées pour une approche pérenne du droit européen des sociétés.

o          Avant toute nouvelle initiative en matière de droit des sociétés, le législateur européen doit définir les règles appropriées afin de garantir que le lieu d’enregistrement du siège social soit lié au lieu d’activités principal.

o          Les procédures d’enregistrement doivent offrir les garanties nécessaires quant au contrôle de l’identité et de la réputation du fondateur de la société.

o          Des mesures satisfaisantes doivent également être prises pour garantir la saine gestion financière de la société, y compris des fonds propres suffisants. Ceci s’avère nécessaire pour couvrir sa responsabilité envers les clients, les créditeurs et le personnel.

 

•           La CES ne peut admettre que les droits des travailleurs à l’information, à la consultation et à une représentation au conseil d’administration soient dilués ou contournés.

 

Position:

 

Le 9 avril 2014, la Commission européenne a publié une proposition de directive relative aux sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée (les SUP) . Cette initiative fait suite à la proposition controversée sur les statuts de la Société privée européenne (la SPE) publiée en 2008 qui a finalement dû être retirée par la Commission.

Comme pour la SPE, l’objectif annoncé de la SUP est de stimuler l’environnement économique des PME pour lesquelles une activité transfrontalière paraît trop coûteuse eu égard notamment à la diversité des législations nationales. La directive introduirait des règles uniformes pour la formation d’une SUP : une procédure d’enregistrement, y compris des modalités d’enregistrement en ligne, un capital social minimum de 1 € et des modèles de statuts.

Déjà au temps de la SPE, la CES avait souligné que le fait de renforcer la flexibilité en faveur des PME ne pouvait se faire au détriment des droits des travailleurs. La CES s’inquiétait fortement que les statuts de la SPE tels que proposés seraient vus comme un encouragement à créer des sociétés boîtes aux lettres. Plusieurs améliorations essentielles étaient dès lors indispensables aux yeux de la CES pour qu’elle puisse apporter son soutien à une telle initiative (2). 

Loin de tenir compte des carences observées alors, la proposition SUP suscite davantage encore d’inquiétudes concernant la fraude fiscale ou le contournement des droits des travailleurs et de la gouvernance d’entreprise durable en général. Si elle était adoptée, cette directive laisserait la porte ouverte aux entreprises de toutes tailles pour minimiser leurs responsabilités au titre du droit national.

La CES rejette la directive SUP et demande avec insistance aux institutions de l’UE de travailler avec les partenaires sociaux pour chercher des solutions appropriées pour une approche pérenne du droit européen des sociétés.

Une initiative antidémocratique

La Commission a mené deux larges consultations en ligne qui ont été suivies de rencontres avec des représentants des entreprises. L’initiative SUP est à l’évidence construite autour d’un processus penchant en faveur du monde des affaires. Une consultation qui met sur le même pied les fondateurs d’entreprises individuelles et une organisation représentant des millions de travailleurs ne peut pas être considérée comme étant réellement représentative.

Vu l’impact de la SUP sur les parties prenantes en général et sur les droits des travailleurs en particulier, il ne fait aucun doute que ce sujet est au cœur même du champ d’application de la politique sociale telle qu’inscrite à l’article 153 TFUE. Les partenaires sociaux européens auraient dû être consultés de façon différente, tenant compte du poids de leur représentativité, et avant le grand public, afin de leur permettre d’influer sur l’orientation à donner à cette initiative.

De plus, le choix de la base juridique soulève de graves questions quant au respect par la Commission de principes démocratiques fondamentaux. Le règlement proposé auparavant pour la SPE était fondé sur l’article 352 TFUE qui dispose que le Conseil statue à l’unanimité alors que la nouvelle proposition de directive est basée sur l’article 50 TFUE qui prévoit un vote à la majorité qualifiée. La CES n’est pas du tout d’accord avec cette approche. La SUP est une suite directe de la SPE. Pourtant, au lieu de s’attaquer aux vrais problèmes, la Commission tente d’éluder les objections en changeant la base juridique.

La Commission soutient que, du fait qu’il s’agit d’une directive qui doit être transposée dans le droit national, la SUP n’est pas une forme juridique supranationale (qui aurait imposé l’article 352 TFUE comme base juridique). Cette analyse est erronée. En théorie, les lois existantes sur les sociétés à responsabilité limitée à un seul associé et les nouvelles règles sur les SUP pourraient coexister. Toutefois, toute disposition plus contraignante en droit national pourrait facilement être contournée au profit de la SUP par les fondateurs de la société. En d’autres mots, la SUP définira le niveau maximum de règlement concernant, en particulier, la protection des créditeurs.

En outre, bien que l’initiative proposée se présente sous forme de directive, des règles uniformes portant sur une série d’éléments clés du droit des sociétés seraient introduites (formation d’une SUP, procédure d’enregistrement y compris des modalités d’enregistrement en ligne, fonds propres minimum et modèles de statuts). Ce qui est inquiétant, c’est que certaines de ces règles uniformes devraient relever de la comitologie, en dehors du moindre contrôle démocratique de la part du législateur européen. Par exemple, les règles relatives à des questions aussi importantes que la réduction de capital ou la comptabilité seront arrêtées unilatéralement par la Commission. La CES est profondément inquiète face à cette approche antidémocratique et exhorte le Parlement européen, la seule institution directement élue, à défendre ses prérogatives en tant que colégislateur.

Un besoin réel ?

La CES a de sérieux doutes quant à la nécessité de créer une forme supranationale pour les SUP. Les vrais PME, surtout si ce sont des sociétés unipersonnelles, conduisent généralement leurs activités au niveau local. La valeur ajoutée d’une initiative de l’UE pour de telles entreprises est très discutable et la CES s’inquiète du respect du principe de subsidiarité. Pour que le modèle de la SUP ait un impact concret, il devrait être utilisé par de plus grandes entreprises au détriment d’autres formes du droit européen des sociétés telles que la Société européenne (SE). Autrement dit, la directive SUP affaiblirait le compromis historique que représente la législation sur la SE, singulièrement concernant les dispositions relatives aux droits des travailleurs.

Un encouragement à recourir aux sociétés boîtes aux lettres

La proposition de directive SUP autorise expressément la SUP à établir son siège social dans un État membre différent de celui de son siège d’exploitation. En fait, le fondateur de la société est libre d’établir son siège social dans l’État membre de son choix. Cette situation n’est pas nouvelle mais serait rendue pire encore par une initiative européenne transformant les procédures d’enregistrement en une simple formalité. Pour la SUP, les règles concernant l’enregistrement sont considérablement simplifiées, en particulier dans le cas de l’enregistrement en ligne. Le processus d’enregistrement est entièrement dématérialisé et n’offre aucune garantie quant au contrôle de l’identité et de la bonne réputation du fondateur de la société.

Le choix du lieu d’enregistrement marque une étape importante dans la vie d’une entreprise car il détermine le principal régime national qui lui est applicable. Cela concerne en particulier la fiscalité. Une liberté totale dans le choix du lieu d’enregistrement du siège social favorise l’évasion fiscale. S’agissant de la coordination en matière de sécurité sociale, il y a également risque de contournement des cotisations obligatoires par l’employeur.

Enfin, la proposition SUP ne contient aucune disposition empêchant de plus grandes entreprises d’abuser de cette forme de société. Ces entreprises seraient ainsi encouragées à modifier artificiellement leur structure sociale afin de minimiser leurs obligations au titre du droit national normalement applicable. Une entreprise employant un nombre important de travailleurs dans un État membre disposant d’une législation élaborée portant sur l’information, la consultation et la représentation des travailleurs au conseil d’administration pourrait facilement transférer la responsabilité de certaines de ses activités à une filiale constituée en SUP dans un État membre plus conciliant, éludant ainsi les obligations s’appliquant dans l’État membre où ces activités ont lieu dans la réalité.

La voie d’avenir – éléments clés d’un modèle durable de droit des sociétés

En préalable à toute autre initiative en matière de droit des sociétés, l’UE doit d’urgence résoudre le problème des sociétés boîtes aux lettres constituées dans le but d’une optimisation fiscale et de contourner les droits des travailleurs. La CES estime que le principe du siège réel doit devenir un principe de base du droit européen des sociétés. La CES exhorte donc le législateur européen à définir les règles appropriées afin de garantir que le lieu d’enregistrement du siège social soit lié au lieu d’activités principal.

De plus, les procédures d’enregistrement doivent offrir les garanties nécessaires quant au contrôle de l’identité et de la bonne réputation du fondateur de la société.

Des garanties satisfaisantes doivent également être prévues pour assurer la saine gestion financière de la société. Des fonds propres importants, notamment, peuvent offrir le niveau de protection élémentaire pour les travailleurs et les autres parties prenantes lorsque les entreprises se heurtent à des difficultés financières. La CES rejette la condition de capital minimum de 1 € prévue dans la proposition SUP. Combinée à une procédure simpliste d’enregistrement en ligne, ce capital minimum d’un euro est la porte ouverte au dumping fiscal et social. Il faut encore noter que la proposition SUP ne contient pratiquement aucune garantie en cas de faillite vis-à-vis des clients, des travailleurs et des créditeurs.

Enfin et surtout, la CES ne peut accepter que les droits des travailleurs à l’information, à la consultation et à la représentation au conseil d’administration soient dilués ou contournés comme ce serait le cas avec la SUP. Toute nouvelle initiative en matière de droit européen des sociétés doit impérativement inclure des dispositions portant sur l’implication des travailleurs à un niveau au moins équivalent à celui prévu par la directive SE. A plus long terme, ce qui faciliterait considérablement le débat sur la législation européenne sur les sociétés serait un cadre juridique relatif à l’information, la consultation et la participation au conseil d’administration des travailleurs s’appliquant à toutes les propositions dans ce domaine.

[1] COM (2014) 212 final http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?qid=1398680773110&uri=COM:2014:212:FIN

[2] /sites/www.etuc.org/files/11-_EN-ETUC_Position_on_a_EPCS_Resolution_En_1_2.pdf