Towards new protection for self-employed workers in Europe

Bruxelles, 18 janvier 2017

Vers une nouvelle protection pour les travailleurs indépendants en Europe

Adoptée en Comité Exécutif du 14 et 15 décembre 2016

Les défis

L’emploi indépendant est l’un des nombreux défis dans le débat sur l’avenir du travail. Il devient de plus en plus difficile de distinguer les faux indépendants de ceux qui ne sont peut-être pas de purs entrepreneurs, mais certainement de véritables travailleurs. Les syndicats doivent dès lors insister pour que les « véritables » travailleurs indépendants soient couverts par des droits sociaux tels que le droit à une rémunération adéquate, des conditions de travail équitables, le droit à la formation, la protection contre le chômage, la protection sociale et le droit à une pension.

Par cette résolution, la CES n’a pas pour objectif de « créer » une nouvelle catégorie de travailleurs distinctes de celle des entrepreneurs ou des travailleurs. Notre but est plutôt de reconnaître que certains indépendants sont des travailleurs et d’aborder les difficultés auxquelles ils sont confrontés en termes de droits, de rémunération et de protection sociale. Le faux emploi indépendant tel que décrit dans recommandation 198 de l’OIT fait référence à une relation de travail déguisée. La CES insiste sur la nécessité de combattre ce type d’abus.

Outre les secteurs où l’emploi indépendant et les faux emploi-indépendant existent de longue date, la numérisation agit comme un nouveau moteur de l’essor du travail indépendant tant dans des secteurs nouveaux que dans des secteurs traditionnels.

Souvent les indépendants ne sont pas en contact avec les syndicats (ou ne sont pas en mesure/légalement autorisés à s’affilier), n’ont pas droit à une protection sociale correcte, et ne sont pas couverts par des conventions collectives ou en mesure de participer à des négociations collectives. Un des principaux défis du mouvement syndical en Europe est de mieux couvrir et protéger ces travailleurs qui se situent dans une frange (sans doute grandissante) du marché du travail. Nous devons nous assurer que ces travailleurs indépendants aient le droit de négocier et d’être couverts par des conventions collectives, tenant compte les structures existantes de négociation collective. Une meilleure protection doit leur être garantie.

Le Congrès de Paris de la CES a décidé de faire de ce problème l’une des priorités du mandat tant en termes de revendications que de syndicalisation. Il doit faire partie intégrante de notre réflexion sur l’avenir du travail et sur l’avenir des syndicats. Cette résolution présente les exigences et une feuille de route pour le mouvement syndical européen afin de tisser des liens plus étroits avec les travailleurs indépendants pour s’attaquer aux obstacles qui empêchent les syndicats de les organiser et de les protéger convenablement.

Cela implique un changement de paradigme au sein du mouvement syndical et la nécessité d’élaborer et de promouvoir des stratégies syndicales innovantes pour mieux répondre aux défis des travailleurs indépendants. La CES travaillera également avec ses affiliés pour développer une proposition de cadre pertinente afin de protéger ces travailleurs, de leur garantir le droit de s’organiser et un niveau plus grand de protection et de droits sociaux, conformément au principe d’égalité de traitement.

La Commission européenne et le Parlement européen envisagent de prendre des mesures à ce sujet. Une réponse syndicale s’impose. Cette stratégie doit déboucher sur une campagne de la CES pour une meilleure organisation et une meilleure protection des travailleurs indépendants et contribuer à la création d’un cadre réglementaire protecteur.

Le travail indépendant entre dans la catégorie du travail « atypique » (Eurofound) ou des formes non-standard d’emploi (OIT). La stratégie de la CES est centrée sur les catégories de travailleurs atypiques qui peuvent être définis comme « travailleurs à leur compte », qu’ils aient un statut spécifique (emploi indépendant classique/freelance) ou qu’ils se trouvent dans d’autres situations.

Les travailleurs indépendants manquent d’un accès adéquate à la protection sociale partout dans l’UE avec toutefois des disparités notables d’un pays à l’autre. Assurance santé, congé de maladie, chômage ou congé de maternité/parental relèvent généralement de la seule responsabilité des travailleurs indépendants eux-mêmes. Ils n’ont très souvent pas le pouvoir de négocier individuellement et collectivement pour une rémunération adéquate et ne peuvent jouir des droits à pension ni des droits sociaux et syndicaux habituels.

La CES conteste l’idée selon laquelle des régimes de travail indépendant en tant que tels peuvent être la panacée dans la lutte contre le chômage en Europe. Les syndicats sont préoccupés par le mix de mesures d’emploi et d’incitations fiscales mises en place par les gouvernements pour stimuler l’emploi indépendant.

Le mouvement syndical européen ne part toutefois pas de zéro lorsqu’il s’agit d’aborder le travail indépendant. L’expérience des syndicats dans des secteurs tels que la construction, les médias, les arts, le journalisme, la musique, les professions règlementées (comme ceux des avocats, consultants, architectes et professionnels de la santé) etc. constitue une base solide pour affronter les défis du travail indépendant à l’avenir. En outre, de nombreux affiliés de la CES développent différents types de stratégies et services pour travailleurs indépendants au niveau national. Ces expériences doivent être encouragées.

Objectifs

La stratégie de la CES vise à renforcer les capacités des syndicats à organiser, défendre, protéger et habiliter les travailleurs indépendants en Europe. En pleine conformité avec le principe d’égalité de traitement, les travailleurs doivent être protégés indépendamment de leur statut et le rôle des syndicats est de combler l’écart entre les travailleurs indépendants et ceux sous contrat de travail « traditionnel ». La CES s’attaquera aux obstacles empêchant les syndicats de couvrir ces travailleurs, elle mettra l’accent sur les bonnes pratiques et les stratégies syndicales à cet égard et travaillera dans un contexte européen afin d’encadrer le travail atypique et de fixer des conditions équitables et décentes pour ces travailleurs. Cette stratégie pourrait également créer des liens avec des initiatives existantes en faveur des travailleurs indépendants (collectifs d’indépendants, coopératives, espaces de « coworking », etc.).

Moyen important pour assurer la couverture des travailleurs, la négociation collective sera au cœur du travail de la CES. Les approches innovantes aux niveaux national et sectoriel seront mises en avant avec une référence spéciale à l’expérience de la Fédération Européenne des Syndicats (dans leur comité de dialogue sociale sectoriel). Une approche syndicale européenne sera définie en tenant compte de réalisations récentes du mouvement syndical et en identifiant les bonnes pratiques et des cas de jurisprudence importants (même non dénués d’ambiguïté) tels que l’affaire « FNV-Kiem contre l’État néerlandais »[1].

Les obstacles juridiques empêchant les travailleurs atypiques soit de s’affilier à un syndicat soit de jouir du droit à la négociation collective seront donc identifiés. La CES abordera la question du droit européen de la concurrence (articles 101 à 109 du TFUE) incorrectement interprété par les autorités de la concurrence de certains Etats membres comme limitant le droit d’organiser et de négocier collectivement en contradiction avec la Charte des droits fondamentaux de l’UE et les conventions fondamentales de l’OIT.

Afin d’organiser ces travailleurs, il est essentiel d’élaborer des stratégies basées sur les bonnes pratiques des affiliés de la CES ainsi que des syndicats de travailleurs indépendants ou de groupes de l’économie collaborative.[2] A cet égard, les récentes mobilisations de conducteurs Uber aux États-Unis ou de coursiers à Londres peuvent servir d’exemples pour une action collective. La CES invite ses affiliés à mettre en place des moyens destinés à mieux protéger les travailleurs indépendants à travers leurs actions syndicales et d’intégrer ces catégories de travailleurs dans leurs structures.

La CES a l’intention de travailler à l’élaboration d’un cadre européen pour protéger les travailleurs soumis à des relations de travail indépendant. Ce cadre devrait être complémentaire aux compétences nationales et aborderait des questions auxquelles les initiatives européennes apportent une réelle valeur ajoutée (par ex. le droit de la concurrence). Une attention particulière sera portée à la sécurité sociale, à l’assistance santé et à d’autres droits importants tels que le droit à la formation, au congé parental, etc. Ces droits devraient être adaptés aux besoins des travailleurs indépendants, qui pourraient être différents de ceux des employés. Nous devons éviter une approche uniformisée. Ce cadre fera l’objet de discussions plus approfondies à partir de 2017 au sein du groupe de travail dédié à cette stratégie et dans différents comités permanents de la CES (voir feuille de route ci-après).

En respectant l’autonomie des partenaires sociaux nationaux, ce cadre européen aurait pour objectif d’assurer que des normes minimales de rémunération pour travailleurs indépendants et employés soient fixées par les partenaires sociaux nationaux par convention collective sinon par la loi.

Concernant les plateformes en ligne, des règles sur le devoir d’information, de déclaration et d’accès de l’inspection public du travail aux données numériques doivent permettre aux législateurs ou aux syndicats de mieux traiter les questions relatives au temps de travail, à la santé et à la sécurité des indépendants. Le cas échéant, ces règles peuvent être définies par des conventions collectives.

Comme la CES l’a déjà réclamé[3], les droits sociaux des travailleurs indépendants doivent être intégrés dans le socle européen des droits sociaux.

La CES veut que la responsabilité sociale des plateformes numériques soit établie. Ceci sera discuté à partir de 2017 au sein du groupe de travail dédié à cette stratégie et dans différents comités permanents de la CES (voir feuille de route ci-après). Ce travail sur la responsabilité sociale des plateformes numériques et leur couverture par des conventions collectives devrait dans un premier temps être testé par des affiliés volontaires. Avec les fédérations européennes et les confédérations nationales, la CES se penchera sur des alliances sectorielles innovantes afin d’inciter les entreprises « classiques » et les plateformes numériques à négocier avec les syndicats et à mettre en place des schémas de négociation collective appropriés.

Avec l’ETUI, la CES créera une plateforme syndicale européenne afin de renforcer la coordination entre mouvement syndical européen et universitaires pour organiser et protéger les travailleurs indépendants et mieux répondre au défi que représente la réglementation des plateformes en ligne.

La CES encouragera les synergies entre syndicats et groupes existants d’indépendants (associations, etc.) ou de nouvelles formes de lieux de travail (espaces de « coworking »). La CES favorisera les complémentarités entre initiatives d’économie sociale (coopératives de plateformes numériques, coopératives offrant un statut d’employé aux travailleurs indépendants, etc.) et activités syndicales (négociation collective, fixation des salaires, protection sociale, etc.).

Feuille de route

Bien que cette résolution fixe déjà les bases de l’approche de la CES, la feuille de route suivante est proposée afin de mettre en place la stratégie selon laquelle le mouvement syndical abordera la question de la représentation, de l’organisation et de la défense des travailleurs indépendants ainsi que de leur accès à une panoplie complète de droits et de protections basés sur le principe d’égalité de traitement.

2016

La CES s’est vue confier un projet qui se déroulera de décembre 2016 à décembre 2018 ayant pour objectif de produire deux études différentes. L’une pour identifier les meilleures pratiques en matière d’organisation des travailleurs atypiques, l’autre pour dresser la cartographie des obstacles législatifs à une meilleure réglementation et à une meilleure protection de ces travailleurs. La couverture de la négociation collective ainsi que des stratégies juridiques et syndicales possibles seront aussi incluses dans ces études.

Premier semestre 2017

  • Cette stratégie requiert un travail transversal au sein de la CES et avec ses organisations affiliées. Un groupe de travail sera constitué avec du personnel de la CES et des affiliés en étroite collaboration avec le Secrétariat de la CES et les différents comités permanents.
  • A partir du premier semestre 2017, les comités permanents de la CES concernés, en particulier les comités négociation collective, droit du travail et protection sociale, seront consultés à propos de la définition du cadre européen pour les travailleurs indépendants et du financement de leur protection sociale.
  • La CES et l’ETUI développeront également une plateforme afin de coordonner et de mettre en contact syndicats et universitaires pilotant les différentes initiatives en Europe.
  • Afin de permettre l’identification des meilleures pratiques et dans le but de garantir un équilibre régional, au moins trois séminaires seront organisés, provisoirement prévus un dans un pays nordique, un en Europe centrale et un dans le sud de l’Europe. La participation de membres des affiliés de la CES des pays d’Europe orientale et méridionale à ces rencontres sera encouragée et soutenue.
  • Un état d’avancement de cette feuille de route sera présenté lors de la conférence de mi-mandat de la CES.

Second semestre 2017

  • Le comité de la CES sur le droit du travail sera invité à plancher sur la faisabilité et le contenu d’une éventuelle catégorisation et/ou définition de l’indépendant.
  • Le Comité exécutif sera invité à adopter une position possible sur un cadre européen pour travailleurs indépendants. Ce cadre devra notamment aborder le droit des indépendants à bénéficier de la négociation collective, de la protection sociale et de droits sociaux ainsi que leurs conditions de travail et autre. Ces normes sociales devront puiser leur source dans le partage des meilleures pratiques, et dans le plein respect de l’autonomie des partenaires sociaux nationaux.

2018

  • Une campagne sera présentée pour souligner le besoin de protection et de droits sociaux pour les travailleurs indépendants. Cette campagne soutiendra également les affiliés à organiser les travailleurs indépendants et soulignera la nécessité de conventions collectives ou d’accords-cadres afin d’établir des règles pour les indépendants.
  • Conférence finale sur ce projet de la CES et recommandations supplémentaires éventuelles à adopter par le Comité exécutif.

 


[1] http://curia.europa.eu/juris/liste.jsf?num=C-413/13

[2] L’économie collaborative, comme l’« économie numérique » et l’« économie de partage », fait référence aux outils basés sur internet permettant des transactions entre personnes fournissant et personnes utilisant un service.

[3] Position de la CES sur le Socle européen des droits sociaux – Agir pour améliorer le sort de tous les travailleurs – 6 septembre 2016.