Vers un nouveau cadre pour une plus grande démocratie au travail

Résolution adoptée lors de la réunion du Comité exécutif des 21-22 octobre 2014


 


Messages-clés


·     La CES demande une directive introduisant une nouvelle architecture intégrée en matière de participation des travailleurs. En se basant sur l'actuel acquis communautaire, cette directive devrait fixer les normes les plus strictes qui soient en matière d'information et de consultation et instaurer d'ambitieuses normes minimales en matière de représentation des travailleurs aux conseils d'administration comme source supplémentaire d'influence des travailleurs.


 


·     La directive deviendrait alors la seule et unique référence en matière de droits des travailleurs à l'information, à la consultation et à la participation des travailleurs aux conseils d'administration pour toutes les formes de sociétés européennes.  La nouvelle directive prendrait en compte l'acquis existant sur l'information et la consultation (par ex. Directive 2002/14/EC) et ne le remplacerait pas.


 


·     Une directive en matière d'information, de consultation et de participation des travailleurs aux conseils d'administration pour toutes les formes de sociétés européennes permettraient de lutter contre les lacunes et les failles de l'acquis communautaire. Par-dessus tout, en demandant une telle directive, la CES propose une véritable vision européenne en matière de droit des sociétés européen. L'Union doit clairement montrer qu'elle défend un modèle d'entreprise basé sur la justice sociale et la durabilité.


 


·         Les prérogatives des syndicats sont essentielles et devraient être renforcées dans cette directive.


 


Contexte


Démocratie sur le lieu de travail - renforcer la participation des travailleurs est une nécessité


 


Le droit à l'information et à la consultation est un droit fondamental reconnu notamment par la Charte des droits fondamentaux et la Charte sociale européenne révisée. C'est également un objectif social des Traités européens. Cela signifie que l'Union est non seulement dans l'obligation de protéger le dialogue entre la direction et les travailleurs mais qu'elle doit également l'encourager. Depuis toujours, la CES revendique le fait que la démocratie sur le lieu de travail est un élément-clé de toute société durable. En somme, une participation accrue des travailleurs est nécessaire à la fois au nom de la justice sociale et au nom d'une bonne gouvernance d'entreprise. Toutefois, l'acquis communautaire et sa mise en œuvre contiennent un certain nombre de faiblesses qui mettent en péril cette vision d'une société juste et durable.


 


Le droit européen en matière de participation des travailleurs est victime d'une mauvaise mise en œuvre. La tenue d'une véritable consultation est souvent freinée par un retard de transmission des informations et par des données approximatives et incomplètes. Toutefois, la pratique montre que l'information et la consultation sont plus pertinentes dans les entreprises au sein desquelles les travailleurs sont représentés au conseil d'administration puisque cela permet un accès privilégié à des informations préalables.


 


De plus, l'approche de l'UE envers le droit des sociétés et les défis de la gouvernance des entreprises remet en cause le principe même de démocratie sur le lieu de travail. Le droit des sociétés européen se caractérise par une approche minimaliste basée sur une réglementation par petites touches et un principe de reconnaissance mutuelle fort. L'action de l'UE se limite à retirer les obstacles au commerce transfrontalier au lieu de promouvoir un modèle européen de gouvernance d'entreprise. Le récent agenda du Programme REFIT prouve clairement cette approche de déréglementation extrême. La participation des travailleurs est considérée comme un fardeau potentiel pour les entreprises et non comme un atout[1] ou un droit d'une importance égale.


 


Cette approche engendre une érosion des droits de participation des travailleurs et une incohérence de l'acquis communautaire. Le droit des sociétés européen ne lutte pas contre la concurrence entre les régimes et l'inévitable nivellement vers le bas qui va de pair. De plus en plus, les entreprises peuvent profiter du droit européen pour minimiser leurs obligations nationales. Elles sont également de plus en plus souvent en mesure d'organiser leur structure de manière à choisir les législations nationales les moins « contraignantes » (par exemple, les sociétés boîtes aux lettres).


 


Les législations européennes successives dans ce domaine ont été si incohérentes que le droit européen des sociétés est maintenant rempli de failles, de lacunes et d'incohérences. Les procédures et les principes en matière de participation des travailleurs diffèrent largement selon les législations. Aujourd'hui, le niveau des droits et des obligations atteint dans la directive SE est régulièrement remis en cause par les instruments qui lui font suite. Par exemple, la directive sur les fusions transfrontalières ne fait référence à la directive SE que dans le domaine des droits de représentation aux conseils d'administration. Les droits à l'information et à la consultation y sont explicitement exclus. La directive sur les sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée (directive « SUP ») qui supprime presque toutes les références aux droits des travailleurs en est un autre exemple. Cette proposition suscite également de profondes inquiétudes en matière de fraude fiscale et de fraude à la sécurité sociale et de gouvernance d'entreprise durable en général[2].


 


À la lumière de ces faits, le Congrès d’Athènes de la CES a mandaté le nouveau secrétariat pour qu’il renforce le travail en profondeur sur l’information, la consultation et la participation des travailleurs. Au mois de décembre 2011, une résolution[3] a confirmé ce mandat et précisé que les institutions de la CES devraient transmettre aux institutions de l'UE une proposition détaillée en faveur de normes européennes en matière de participation des travailleurs.


 


Position de la CES


 


Une approche cohérente et claire de la démocratie sur le lieu de travail est nécessaire. La CES demande une directive introduisant une nouvelle architecture intégrée en matière de participation des travailleurs. En se basant sur l'actuel acquis communautaire, cette directive devrait fixer des normes de qualité en matière d'information et de consultation et instaurer d'ambitieuses normes minimales en matière de représentation des travailleurs aux conseils d'administration comme source supplémentaire d'influence des travailleurs. La représentation des travailleurs aux conseils d'administration ne devrait pas être considérée comme un droit à part. Elle devrait faire partie intégrante d'une architecture globale destinée, au final, à renforcer l'information, la consultation et l'influence des travailleurs. Elle peut devenir une source d'informations fiables et préalables et, si elle est intégrée à une procédure d'information et de consultation efficace, amplifier la voix des travailleurs sur la stratégie de l'entreprise.


 


Sans porter atteinte à la prérogative offerte aux États membres de transposer des principes de l'UE dans leur système national, cette directive sur l'information, la consultation et la représentation des travailleurs aux conseils d'administration devrait d'abord s’appliquer aux situations transfrontalières. Plus précisément, quel que soit le droit européen sur lequel une société s'appuie pour créer une forme de société européenne (SE, SCE), elle devrait toujours respecter les normes de cette nouvelle directive. En d'autres termes, elle deviendrait la seule et unique référence en matière de droits des travailleurs pour toutes les formes de sociétés européennes. Il devrait etre clair que cette nouvelle directive prendrait en compte l'acquis existant sur les droits à l'information et à la consultation (par ex. Directive 2002/14/EC) et non pas le remplacer.


Des normes horizontales en matière d'information, de consultation et de participation des travailleurs aux conseils d'administration permettraient de lutter contre les lacunes, les failles et les incohérences de l'acquis communautaire et ce qui encourage les abus et les contournements serait réduit.


 


Par-dessus tout, en demandant une telle directive, la CES propose une véritable vision européenne en matière de droit des sociétés européen. L'union favoriserait une bonne gouvernance des entreprises, fondée sur un modèle fructueux pour les formes de sociétés européennes. Les entreprises multinationales sont devenues des acteurs majeurs à l'échelle européenne en bénéficiant de l'intégration du marché européen puis en le façonnant. Le législateur européen ne peut pas se satisfaire d'un simple rôle de coordination entre les statuts nationaux  en s'appuyant pour l'essentiel sur le principe du pays d'origine. Au contraire, l'émergence d'une norme transfrontalière et véritablement européenne pour la participation des travailleurs est la contribution dynamique du mouvement syndical au projet européen. L'Union doit clairement montrer qu'elle défend un modèle d'entreprise basé sur la justice sociale et la durabilité. Des normes transnationales globales en matière de démocratie sur le lieu de travail reflètent l'esprit original de l'intégration européenne : la promotion de principes durables tournés vers l'avenir.


 


Pierres angulaires d'une directive européenne sur l'information, la consultation et la représentation des travailleurs aux conseils d'administration


 


La CES appelle la nouvelle Commission à organiser une consultation des partenaires sociaux européens sur les droits transnationaux à l'information, la consultation et la représentation des travailleurs aux conseils d'administration. La CES salue, dans ce domaine, les déclarations faites à la fois par le nouveau président de la Commission et par celui du Parlement européen qui reconnaissent que la représentation des travailleurs aux conseils d'administration est un élément manquant  du modèle social européen[4]. Pour contribuer de manière constructive à ce débat, la CES poursuivra ces travaux afin de proposer des dispositions concrètes.


 


Cette directive devrait s'appuyer sur les normes existantes en matière d'information et de consultation et en utilisant ce qu'il y a de mieux dans l'actuel acquis communautaire. Une attention toute particulière devrait être portée à une procédure d'information préalable et à un renforcement des droits de consultation afin de parvenir à un accord grâce à la tenue d'un dialogue constructif avant toute décision finale. Les représentants des travailleurs doivent être en mesure d'anticiper et de gérer le changement. Les processus transfrontaliers d'information et de consultation doivent être étroitement liés à l'information, à la consultation et aux négociations à l'échelle locale. Aucun travailleur ne devrait être exclu du champ d'application de cette directive et des sanctions efficaces et dissuasives doivent impérativement être mises en place[5].


 


Cette directive devrait encourager une véritable articulation entre les trois dimensions de la représentation avec l'objectif de renforcer le poids des travailleurs pendant la phase de consultation. Par exemple, une solution devrait être trouvée pour encourager les représentants des travailleurs aux conseils d'administration à rendre régulièrement des comptes au Comité d'entreprise européen et/ou à tout autre niveau de représentation des travailleurs.


 


Quel que soit leur champ d'application, les directives CEE et SE peuvent inspirer l'élaboration de cette nouvelle directive avec l'objectif de garantir aux négociations une marge de manœuvre aussi vaste que nécessaire. Des normes contraignantes devraient donc inclure des principes clés. Leur mise en œuvre devrait, dans un premier temps, être négociée à l'échelle de l'entreprise. Des dispositions de secours, applicables en l'absence d'accord ou si les parties le souhaitent, devraient être contenues dans des prescriptions subsidiaires. Dans la mesure où il s'agit d'une Directive, les transpositions nationales devraient toujours être en mesure de prévoir des dispositions plus favorables.


 


Ces prescriptions subsidiaires devraient inclure de nouvelles dispositions en matière de représentation des travailleurs aux conseils d'administration allant au-delà du simple « principe avant-après » ancré dans la directive SE. Selon ce principe, rien ne pousse une direction à entamer des négociations concrètes en matière de représentation des travailleurs aux conseils d'administration si ce système n'existait pas au sein de l'entreprise avant la conversion/fusion. Il n'y a pas non plus d'incentif à bâtir quelque chose de totalement nouveau et profondément européen qui serait adapté à l'entreprise et aux parties intéressées.


 


Les représentants des travailleurs aux conseils d'administration devraient être des membres de plein droit du conseil d'administration avec autant de droits et d’obligations que les représentants des actionnaires, y compris le droit de vote, le droit de poser des questions et le droit d'ajouter un point à l'ordre du jour. Ils devraient en outre disposer des moyens nécessaires pour remplir leurs missions, y compris la formation, les moyens financiers, la protection contre le licenciement etc. Des règles adaptées en matière de confidentialité devraient être élaborées afin de s'assurer qu'ils peuvent rendre des comptes en bonne et due forme aux différents niveaux de représentation.


 


Les prérogatives des syndicats sont essentielles et devraient être renforcées dans cette directive et l'exercice de la participation des travailleurs sous toutes ses formes. En prenant la refonte de la directive CEE comme exemple, cette directive devrait notamment stipuler que les syndicats doivent être informés du lancement de négociations et que l'accès à l'expertise syndicale est essentiel.


 


 


 


[1] http://www.etuc.org/fr/documents/r%C3%A9solution-de-la-ces-stop-%C3%A0-la-d%C3%A9r%C3%A9glementation-de-leurope-repensez-refit#.VA8hOBZQRqw


 


[2] http://www.etuc.org/fr/documents/soci%C3%A9t%C3%A9s-%C3%A0-responsabilit%C3%A9-limit%C3%A9e-%C3%A0-un-seul-associ%C3%A9-position-de-la-ces#.VA8hTxZQRqw


[3] http://www.etuc.org/fr/documents/la-participation-des-travailleurs-en-danger-vers-une-meilleure-implication-des#.VA8hdRZQRqw


[4] Die Mitbestimmung 05/2014


[5] http://www.etuc.org/consolidation-three-directives-worker-involvement