Position de la CES sur l’Examen Annuel de la Croissance 2019
Adoptée lors du Comité Exécutif des 18 – 19 Décembre 2018
Résumé
L’UE devrait se préoccuper moins de célébrer l’amélioration des indicateurs macroéconomiques que d’améliorer les conditions de vie et de travail dans toute l’Europe. L’examen annuel de la croissance (AGS) 2019 sort de la crise économique et s’oriente vers des priorités pour construire un avenir prospère. La Commission européenne est convaincue que les fondamentaux économiques de l’UE ne sont menacés que par les incertitudes mondiales. La CES est plus prudente. Il est certainement temps de relever de nouveaux défis, en particulier l’avenir du travail et la modernisation des systèmes de protection sociale. Mais la crise n’est pas terminée, la reprise reste fragile, et pas seulement à cause de facteurs extérieurs.
Les forces d’extrême droite freinent la croissance économique et le progrès social. L’UE doit réagir en apportant des avantages tangibles aux travailleurs européens et à leurs familles, en tenant les promesses faites lors de la proclamation solennelle du pilier européen des droits sociaux. À l’approche des élections européennes de 2019, de telles actions sont nécessaires pour maintenir les citoyens ancrés dans les valeurs démocratiques de l’Union européenne.
Paquet d’automne 2019, Évaluation de la CES
En septembre 2018, la CES a fixé ses priorités, revendiquant une augmentation plus rapide des salaires réels, notamment par la négociation collective, l’éradication de la pauvreté et le renforcement de l’adéquation de la protection sociale en mettant l’accent sur la santé et les soins de longue durée, une mise en œuvre rapide du pilier européen des droits sociaux, particulièrement pour ce qui concerne les emplois de qualité. La CES préconisait également une augmentation rapide des niveaux d’investissement, laissant place à une orientation budgétaire positive. Compte tenu des projets de plans budgétaires, cette orientation budgétaire positive, à la fin du semestre, devait être proche de 80 milliards d’euros, soit 0,75 % du PIB de l’UE. Enfin, la CES a demandé une implication plus efficace des partenaires sociaux dans l’élaboration des plans nationaux et l’application des recommandations spécifiques par pays (RSP).
L’AGS englobe bon nombre des priorités fixées par la CES à la suite d’un dialogue renforcé au niveau européen. Toutefois, il subsiste quelques discordances.
Salaires
Le fait que les recommandations de la zone euro invitent désormais les États membres à « renforcer les conditions qui favorisent la croissance des salaires dans le respect du rôle des partenaires sociaux » est une réalisation importante. La question des salaires est maintenant formulée en termes corrects. L’AGS indique clairement que les salaires n’ont pas évolué comme ils auraient dû le faire depuis des années et que la productivité a augmenté plus rapidement que les salaires réels. Il affirme à juste titre que certaines réformes passées ont sapé la négociation collective et le dialogue social. Il reconnaît également que la croissance des salaires devrait renforcer la demande intérieure et que des investissements sont nécessaires pour accroître la productivité afin de soutenir les résultats positifs des salaires.
La CES reste convaincue que la croissance des salaires nécessite des cycles de négociations collectives plus équilibrés et une couverture accrue des conventions collectives.
La CES soutient l’idée que les capacités des partenaires sociaux doivent être renforcées afin d’augmenter la couverture et d’inverser les effets négatifs de la crise. Mais nous devrions aller plus loin et préciser que les niveaux nationaux, sectoriels et multi employeurs sont plus efficaces tant pour les travailleurs que pour les entreprises, notamment les PME (plus de 95 % du tissu productif de l’UE).
Même si certains pays ont considérablement augmenté leurs salaires minimums légaux, ils restent en dessous du niveau de vie et trop de travailleurs sont bloqués au niveau le plus bas de l’échelle des salaires. Les mécanismes de fixation des salaires minimums devraient mieux impliquer les partenaires sociaux et être propices à la mise en place de barèmes salariaux convenus collectivement qui garantissent à tous les travailleurs un salaire décent, une progression des revenus et dans leur carrière.
La négociation collective est une affaire nationale et les plans nationaux sont essentiels, car les pays doivent faire face à des défis différents pour atteindre les objectifs communs fixés dans l’AGS. L’autonomie des partenaires sociaux doit être préservée. Les partenaires sociaux devraient être en mesure de décider de manière autonome de leurs modèles de relations professionnelles. Au niveau européen, un partenariat pour la négociation collective peut soutenir le processus (voir la résolution de la CES « Relancer la négociation collective).
Investissements
La CES insiste sur la nécessité de relancer les investissements publics, d’autant plus que le stock de capital public se détériore, mettant en danger le développement de notre économie. Les dépenses publiques devraient stimuler la demande globale. Les recommandations de la zone euro fixent l’objectif de « stimuler l’investissement dans la zone euro » et de « soutenir l’investissement public et privé et d’améliorer la qualité et la composition des finances publiques dans tous les pays », en confiant des responsabilités accrues aux « États membres ayant d’importants excédents des comptes courants ».
L’AGS fixe quelques priorités : les investissements doivent permettre de moderniser les infrastructures stratégiques, de renforcer le capital humain pour la compétitivité de demain et d’améliorer les conditions de travail et de vie, en s’orientant vers une économie circulaire à faible émission de carbone, afin de soutenir la durabilité à long terme. Les investissements publics devraient augmenter la demande interne. En particulier, la CES soutient les recommandations de la zone euro qui donnent la priorité aux « investissements dans les compétences » et aux « politiques actives du marché du travail qui soutiennent les transitions ». Le rapport conjoint sur l’emploi fournit des orientations supplémentaires aux décideurs politiques.
Tout cela peut faire l’objet d’un accord. Toutefois, il faut considérer que : a) les ressources mobilisées par le plan de Juncker restent insuffisantes ; b) le CFP représente encore une petite fraction de l’AGS et est soumis à de nombreuses conditions défavorables ; c) les finances publiques sont comprimées par des exigences budgétaires plus strictes. En réalité, l’UE (et en particulier la zone euro avec un déficit agrégé inférieur à 1 % du PIB et une dette agrégée de 80 %) peut se permettre une position budgétaire positive pour atteindre des niveaux d’investissement proches de l’objectif de 2 % du PIB de la CES et un montant supplémentaire de 300 milliards d’euros par an.
Ce que l’AGS ne dit pas, c’est que les investissements devraient augmenter en volume, être orientés vers la mise en œuvre du pilier et faire l’objet d’un dialogue sérieux avec les partenaires sociaux au niveau européen et national. Les États membres sont invités à présenter leurs priorités dans leurs plans nationaux. La Commission devrait également inviter les gouvernements nationaux à dialoguer avec les partenaires sociaux lorsqu’ils fixent ces priorités. Malheureusement, les projets de plans budgétaires 2019 ne vont pas dans ce sens. Le semestre 2019 devrait remédier rapidement à cette situation dans les programmes de stabilité en avril, comme le prévoient les rapports par pays. La contribution des partenaires sociaux devrait être essentielle.
Marché du travail
Les taux d’emploi dans l’Union européenne et dans la zone euro ont augmenté depuis 2013 et sont maintenant supérieurs à leurs niveaux de 2008. Parallèlement, les taux de chômage ont diminué d’un demi-point de pourcentage par rapport au niveau d’avant la crise dans l’UE28 (avec encore beaucoup à faire dans les pays de la zone euro). Toutefois, le volume de travail, c’est-à-dire le nombre total d’heures travaillées, est toujours inférieur au niveau de 2008. Les taux d’emploi temporaire ont augmenté tant pour l’Union européenne que pour la zone euro depuis 2012 et représentent 11,3 % et 12,7 % de l’emploi total, avec des pics inacceptables dans les pays qui ont subi des réformes du travail pendant la crise. L’expansion des emplois atypiques (free-lance, contrats à durée indéterminée, etc.) a contribué à faire baisser les statistiques du chômage, mais ce faisant, elle a contraint les travailleurs à des arrangements précaires sans garantie de revenus ni accès à la protection sociale et aux droits. Les heures de travail moyennes continuent à diminuer. Dans un petit nombre de cas notables, cela s’est fait au moyen de réductions négociées collectivement pour gérer le travail de façon juste et constructive. Mais pour des millions de travailleurs, cela s’est fait par le biais d’un emploi à temps partiel involontaire. Il n’y a pas assez d’emplois à durée indéterminée, à temps plein et standard disponibles. Les bas salaires et les emplois précaires touchent particulièrement les femmes.
La CES est déçue que la qualité des emplois créés dans les États membres ne soit pas une priorité plus claire et plus urgente pour la Commission. Le rapport conjoint sur l’emploi (RCE) identifie les défis et les priorités dans les grandes tendances transversales des économies nationales et continue d’être une amélioration par rapport aux versions précédentes maintenant qu’il a une structure plus clairement définie, grâce à l’adoption du pilier européen des droits sociaux et tableau de bord social. La lutte contre la pauvreté, la segmentation du marché du travail, le manque de politiques actives du marché du travail, l’inefficacité des régimes de protection sociale, notamment en termes d’adéquation et de couverture, apparaissent comme des défis majeurs du RCE. Pourtant, le rapport pourrait être grandement amélioré en adoptant une approche plus inclusive et en abordant les questions que des millions de travailleurs soulèvent par l’intermédiaire de leurs représentants syndicaux élus.
La qualité du travail continue de faire l’objet d’un vœu pieux. Le tableau de bord social peut également être amélioré. Basé sur une technique qui compare les pays en fonction de leur éloignement du grand public, le risque est que le tableau de bord donne une image trop optimiste de la réalité, retardant ainsi les mesures qui favoriseraient une convergence plus rapide vers le haut des conditions de vie et de travail.
Néanmoins, l’AGS et le RCE commencent à envisager de nouvelles perspectives pour la protection des nouvelles formes de travail. La CES est convaincue que cet exercice doit être encadré par des règles claires de l’UE fixées dans la législation telle que la directive sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, la directive sur la transparence et la prévisibilité des conditions de travail, l’Autorité européenne du travail et la recommandation sur l’accès à la protection sociale. L’adoption rapide de ces initiatives législatives, sans en diluer le contenu, est urgente.
À cet égard, la CES est extrêmement prudente quant au renforcement des programmes d’assistance technique par lesquels la Commission fait avancer les réformes structurelles au niveau national sans tenir pleinement compte de la participation des partenaires sociaux et sans préserver les règles fondamentales de transparence et de responsabilité de ces programmes (voir également la position de la CES sur l’achèvement de l’Union économique et monétaire).
La CES considère toujours que le semestre devrait se tourner vers l’avenir pour mieux protéger les travailleurs des nouvelles formes de travail ou impliqués dans les transitions de travail imposées par les politiques environnementales ou les transitions technologiques ou la mobilité croissante du travail. En outre, une décennie d’attaques contre la négociation collective a retardé de dix ans la modernisation de la protection des travailleurs. Le redémarrage de la négociation collective est également essentiel pour permettre aux syndicats de mieux intégrer les besoins des travailleurs nouveaux et plus âgés dans les nouvelles règles statutaires ou conventionnelles.
La CES propose que la recommandation 3 de la zone euro soit amendée de manière à impliquer les partenaires sociaux dans les mesures visant à aborder la « segmentation du marché du travail et à assurer des systèmes de protection sociale adéquats dans la zone euro », et que ces politiques soient pleinement alignées sur les 20 principes du pilier européen des droits sociaux.
Protection sociale
L’approche de l’AGS et du Paquet d’automne en général en matière de protection sociale est ambivalente. La mise en œuvre du pilier européen des droits sociaux est souvent présentée comme un compromis avec les exigences budgétaires du Pacte de stabilité et de croissance. Il est temps de renforcer les dépenses publiques afin de garantir des normes de protection sociale adéquates et universelles, en recourant également à la flexibilité du PSC si nécessaire pour construire des sociétés plus résistantes qui soutiennent la stabilité et la croissance économiques.
L’AGS indique clairement que les conséquences sociales de la crise sont encore profondément ressenties dans toute l’UE. La pauvreté, les inégalités et l’exclusion sociale demeurent à des niveaux préoccupants. Les femmes et des groupes tels que les enfants, les personnes handicapées et les personnes issues de l’immigration sont particulièrement exposés. L’AGS rappelle la nécessité de « développer des régimes de protection sociale inclusifs et favorables à la croissance, des systèmes d’imposition et d’indemnisation plus équitables et des institutions du marché du travail qui combinent efficacement flexibilité et sécurité ». Tout en rappelant que la capacité des gouvernements à imposer les revenus les plus élevés et les plus riches est devenue de plus en plus limitée, l’AGS reconnaît également que garantir une fiscalité plus équitable est une condition préalable à une croissance plus inclusive.
La CES convient que « les réformes nationales... devraient se concentrer sur l’adéquation des prestations et de la couverture ainsi que sur l’optimisation des incitations à la participation au marché du travail ». Ces demandes répondent à la très faible efficacité des transferts sociaux constatée au cours du cycle précédent, comme le montre le tableau de bord social.
Comme la CES l’a demandé, l’AGS se concentre en particulier sur les pensions, les soins de santé et les soins de longue durée. Cependant, l’AGS n’est pas encore suffisamment clair sur les moteurs politiques efficaces qui activent « des mesures supplémentaires pour assurer à la fois la viabilité budgétaire et une couverture adéquate ». Les mesures visant à atténuer les conséquences sociales du vieillissement de la population européenne doivent être qualifiées et précisées. Il est bon que l’AGS fasse référence à un marché du travail et à des systèmes de protection sociale plus dynamiques et plus inclusifs, ainsi qu’à la nécessité de rééquilibrer la flexibilité et la sécurité sur le marché du travail.
L’accent mis sur l’assainissement budgétaire peut entraîner des limites plus strictes pour les dépenses publiques consacrées aux pensions, aux soins de santé et aux soins de longue durée. Cela se ferait au détriment de la qualité et de l’accès universel, perpétuant ainsi un compromis entre adéquation et durabilité qui se répète depuis des années et confirmant la coexistence difficile du PSC et du pilier européen des droits sociaux dans le même cadre politique.
La CES rappelle que l’argent des travailleurs n’est pas un actif financier, mais une garantie de revenu à un âge plus avancé ou un refuge en cas d’événements indésirables. Pendant le reste du semestre, la CES tiendra la Commission et les États membres responsables de l’amélioration des niveaux de vie et de la préservation de la solidarité intergénérationnelle, du renforcement des piliers publics de la protection sociale et, le cas échéant, de la garantie que les acteurs privés qui jouent un rôle dans la fourniture de soins de santé et de soins de longue durée sont fortement réglementés et suivis avec précision.
Les plans nationaux (inspirés des rapports nationaux) devraient mettre l’accent sur les moyens de renforcer l’équité intergénérationnelle. La meilleure façon de préserver l’équité intergénérationnelle est d’offrir des emplois sûrs et de qualité aux jeunes, en investissant dans la création d’emplois, la continuité de carrière et une rémunération équitable. Les données disponibles sur l’emploi des jeunes illustrent également les énormes lacunes en matière d’accès à la protection sociale.
Les personnes au travail devraient être en mesure de contribuer aux systèmes de protection. Les États membres, sous la coordination de l’UE, devraient s’attaquer au phénomène du travail non déclaré.
Participation des partenaires sociaux
La CES estime que l’engagement des partenaires sociaux au niveau national est insuffisant. Malgré les efforts déployés ces dernières années, l’indice de participation syndicale se détériore dans de nombreux pays de l’UE, reflétant une détérioration plus générale de la santé du dialogue social.
La CES met en garde contre le fait que les conseils de productivité récemment créés ne devraient jamais préjuger des résultats du dialogue social ni constituer un obstacle aux délibérations libres et autonomes des partenaires sociaux.
L’exercice d’évaluation par les pairs en cours dans l’EMCO implique les partenaires sociaux, mais donne de mauvais résultats. La CES demande à la Commission d’encourager les gouvernements nationaux à s’engager sérieusement dans une consultation appropriée, précise et opportune avec les partenaires sociaux lors des étapes du semestre et dans la mise en œuvre des recommandations spécifiques par pays. La CES demande également qu’une règle européenne soit introduite pour obliger les gouvernements nationaux à consulter les partenaires sociaux aux étapes du semestre. Les plans nationaux d’avril devraient rendre compte en détail de la manière dont les partenaires sociaux ont été impliqués au cours du semestre en cours.
Recommandations de la zone euro
La CES propose les amendements suivants aux recommandations de la zone euro (les amendements de la CES sont en gras et soulignés) :
RECOMMANDE aux États membres de la zone euro d’agir, individuellement et collectivement au sein de l’Eurogroupe, au cours de la période 2019-2020 pour :
Approfondir le marché unique, améliorer l’environnement des entreprises et poursuivre les réformes visant à renforcer la résilience du marché des produits et des services, mettre en œuvre le pilier européen des droits sociaux. Réduire la dette extérieure et poursuivre les réformes visant à stimuler la productivité dans les États membres de la zone euro ayant un déficit de la balance courante et renforcer les conditions qui favorisent la croissance des salaires en respectant le rôle des partenaires sociaux et mettre en œuvre des mesures qui encouragent l’investissement dans les États membres de la zone euro ayant d’importants excédents courants.
Reconstruire les tampons budgétaires dans les pays de la zone euro fortement endettés, sans entraver la capacité des dépenses publiques et des systèmes de protection sociale à mettre fin à la pauvreté et à réduire les inégalités. Soutenir l’investissement public et privé et améliorer la qualité et la composition des finances publiques dans tous les pays.
Réduire les impôts sur le travail tout en préservant les cotisations aux systèmes de protection sociale et en assurant la progressivité de la fiscalité.
Renforcer les systèmes éducatifs et l’investissement dans les compétences, ainsi que l’efficacité des politiques actives du marché du travail qui soutiennent les transitions. Augmenter les taux de participation des femmes, des jeunes travailleurs et des migrants. En collaboration avec les partenaires sociaux, s’attaquer à la segmentation du marché du travail et garantir des systèmes de protection sociale adéquats dans l’ensemble de la zone euro, dans le respect des 20 principes du pilier européen des droits sociaux.
Rendre opérationnel le filet de sécurité du Fonds unique de résolution, mettre en place un système européen de garantie des dépôts et renforcer le cadre réglementaire et de surveillance européen. Favoriser un désendettement ordonné d’importants stocks de dette privée. Réduire rapidement le niveau des prêts non productifs dans la zone euro et empêcher leur accumulation, notamment en supprimant le biais de la dette dans la fiscalité.