Résolution de la CES sur la proposition d'un cadre juridique optionnel pour les négociations transnationales dans les entreprises multinationales

Adoptée par le Comité exécutif de la CES lors de sa réunion des 11 et 12 mars 2014

 

Résumé

-          Le Comité exécutif souscrit au rapport “Vers un cadre juridique pour les accords d'entreprise transnationaux”[1], qui constitue une base solide aux revendications syndicales en faveur de règles plus claires et plus transparentes pour les négociations transnationales avec les entreprises multinationales

-          Conjointement avec les FSE, la CES prône la création d'un Cadre juridique optionnel pour les AET, à introduire par le biais d'une décision pleinement contraignante du Conseil conformément aux procédures du TFUE.

-          La CES encourage les FSE à adopter des procédures concernant les négociations transnationales avec les entreprises multinationales et elle aidera les FSE à s'accorder sur une série cohérente de procédures internes dans tous les secteurs, avec une référence particulière aux mécanismes bilatéraux de règlement des litiges.

-          La CES encouragera le dialogue social avec les associations européennes d'employeurs et les entreprises multinationales afin d'aboutir à des AET plus nombreux et de meilleure qualité.

 

   

CONTEXTE

 

Le 18 octobre 2012, le Comité exécutif de la CES a avalisé la prise de position relative à la consultation de la Commission européenne sur les Accords d'entreprise transnationaux (AET)

 

Cette prise de position était le résultat d'un examen approfondi qui a impliqué tous les affiliés, et notamment les FSE, au sein du Comité de coordination des négociations collectives de la CES et du Groupe de travail (Task Force).

 

Sur la base de cette prise de position, le Secrétariat de la CES a mené d'autres discussions avec la Commission européenne et le Parlement européen, qui ont conduit au rapport d'initiative "Négociation collective transfrontalière et dialogue social transnational" (2012/2292(INI)) adopté par le Parlement le 15 juillet 2013, rapporteur Thomas Haendel (GUE), et principalement basé sur la Position de la CES et les procédures des FSE concernant les négociations transnationales.

 

Avec ce Rapport, le Parlement européen demande à la Commission européenne d'envisager la possibilité de publier un cadre juridique optionnel européen afin de soutenir les négociations transnationales, et de mettre en place des mécanismes de médiation destinés à régler les litiges liés à la mise en œuvre des accords.

 

Entre-temps, la CES a entamé l'élaboration d'un projet cofinancé par l'UE, afin de rédiger une proposition syndicale relative à un cadre juridique optionnel, en impliquant des experts juridiques et les affiliés, en particulier les FSE. Le projet consistait en une première phase de recherche destinée à l'établissement d'un rapport (http://www.etuc.org/a/11793), visant à:

 

·         examiner les possibilités d'élaborer un cadre juridique optionnel pour les AET

·         définir la base juridique et le contenu d'un tel cadre

·         proposer les étapes qui peuvent conduire à son adoption.

 

Le rapport tient compte de la documentation spécialisée et des documents politiques, en particulier de la Commission européenne. De plus, des interviews ont été menées avec plusieurs représentants d'entreprises transnationales et de Fédérations syndicales européennes impliquées dans la négociation et la mise en œuvre d'Accords d'entreprise transnationaux (AET).

 

Le point de départ du rapport est le fait que l'absence de cadre de règles de référence constitue un obstacle important à l'impact potentiel des AET espéré par les partenaires sociaux qui les négocient, ainsi qu'aux négociations elles-mêmes.

 

Le rapport est divisé en 5 sections. Après une introduction, il s'appuie sur des documents politiques récents pour résumer les différents problèmes juridiques en jeu dans le domaine des AET. La Section III expose les sources du droit primaire de l'UE qui sont pertinentes pour le soutien à un cadre juridique optionnel pour les AET. La Section IV contient et explique notre proposition, à savoir l'adoption d'une Décision du Conseil adressée aux Etats membres, définissant les règles en matière de conclusion d'AET et de règlement des litiges. Enfin, la section V formule des suggestions concernant les initiatives qui doivent être prises pour aller de l'avant, vers l'adoption d'un cadre juridique optionnel pour les AET.

 

Le rapport d'expert identifie en particulier les problèmes les plus complexes tels que:

 

a)    Le manque de capacité/légitimité claire des parties négociantes et signataires

b)    Le manque de règles de procédure concernant la négociation

c)    Le manque de cohérence dans la mise en œuvre des AET entre les pays et les filiales, résultant de l'absence de règles ou de pratique quant aux effets et à la mise en œuvre de tels accords

d)    Les risques liés aux incertitudes quant aux effets juridiques des AET et à l'application aux litiges des règles du droit international privé

e)    Le ressentiment existant chez les représentants des responsables et des travailleurs des niveaux inférieurs concernant l'imposition par la hiérarchie de mesures adoptées au niveau supérieur.

 

Le rapport propose une série de solutions concernant un éventuel cadre juridique optionnel:

 

f)     Explique comment l'adhésion au cadre juridique n'entre pas en conflit avec l'autonomie des partenaires sociaux et le caractère volontaire des accords, car elle reste “optionnelle”

g)    Affirme que la meilleure manière de mettre en œuvre le cadre juridique optionnel est l'adoption d'une Décision du Conseil au plan de l'UE

h)    Identifie les principaux éléments contraignants composant un cadre juridique optionnel (para 4.2)

i)      Propose une procédure de médiation en tant que meilleure méthode de résolution des litiges sur la base de l'expérience acquise à ce jour

j)      Propose une série d'interventions supplémentaires de la Commission européenne

k)    Rappelle les avantages d'un cadre juridique optionnel pour les AET, comme l'a fait apparaître l'expérience des représentants des travailleurs et des employeurs.

 

En conclusion du projet de recherche, la conférence européenne “Renforcer les syndicats européens dans les négociations avec les entreprises transnationales et appliquer l'ACE” a été organisée le 30 janvier 2014 à Francfort, dans les locaux d'IG Metall. La conférence a offert une tribune permettant de présenter les résultats de l'étude élaborée dans le cadre du projet et de l'examiner avec ses experts juridiques, les affiliés (FSE et confédérations nationales), les entreprises multinationales (représentants des responsables et des travailleurs), les organisations d'employeurs, la Commission européenne et le Parlement européen.

 

La conférence visait à:

 

·         Diffuser les meilleures pratiques concernant les accords transnationaux avec les entreprises multinationales, en particulier les ACE (Accords-cadres européens)

·         Fournir une analyse juridique plus ciblée des procédures établies par les FSE

·         Clarifier les aspects juridiques et les aspects durables des procédures établies par les partenaires sociaux afin d'encadrer les négociations transfrontalières au sein de règles prédéfinies et de rendre leurs effets contraignants au plan national/de la filiale

·         Favoriser l'échange entre les partenaires sociaux et les institutions de l'UE afin de rédiger des modèles hypothétiques du cadre juridique/procédural optionnel au plan européen.

 

Grâce à l'échange de bonnes pratiques, la conférence a clarifié et précisé davantage les procédures permettant de négocier et de gérer effectivement les accords transnationaux, en particulier les ACE.

 

L'échange de meilleures pratiques a permis de diffuser le savoir-faire dans la perspective des futures négociations. Il a aidé les partenaires sociaux à avoir une meilleure compréhension des bienfaits potentiels des ACE formulés dans un cadre juridique spécifique.

 

Le rapport final du projet, intégré dans les résultats de la conférence, est soumis au Comité exécutif pour adoption. Il constituera la base de négociations ultérieures avec les institutions de l'UE.

 

Le Comité exécutif de la CES est invité à prendre note du rapport et à adopter la résolution suivante:

 

POUR ADOPTION

 

Conjointement avec les FSE, la CES incite vivement la Commission européenne à formuler une proposition de décision introduisant un Cadre juridique optionnel pour les négociations transnationales avec les entreprises multinationales. La décision aura une base juridique dans le Traité et sera officiellement adoptée avec un acte juridique de l'Union (une décision), comme affirmé dans le Chapitre III du Rapport d'experts. Elle comportera donc des obligations pour les Etats membres et les agents négociateurs, tout en leur laissant encore le choix de l‘opt in’. Les obligations auront pour effet de donner une nature juridiquement contraignante aux AET, à savoir leur attribuer une fonction normative.

 

La CES travaille en étroite coopération avec les FSE et elle continuera à prôner l'adoption d'un cadre juridique optionnel pour les négociations transnationales avec les entreprises multinationales et les AET. La CES adoptera une approche à deux volets. Sur le plan institutionnel, la CES fera du lobbying auprès des institutions de l'UE. En outre, la CES renforcera également la coopération avec les FSE afin de soutenir les initiatives sur le plan du dialogue social sectoriel en vue de créer un consensus autour du cadre juridique optionnel.

 

Le Cadre juridique optionnel inclura au moins les points suivants:

 

l)      La Clause Opt-In: Les partenaires sociaux doivent clairement exprimer leur volonté de bénéficier du cadre juridique optionnel créé par le droit communautaire.

m)  Les parties signataires de l'AET: Pour être cohérent avec la base juridique choisie (voir IV.1 ci-dessus), l'accès au cadre juridique optionnel devrait être limité à certains acteurs. En ce qui concerne les travailleurs, les fédérations syndicales européennes devraient avoir le droit de signer un accord transnational avec des entreprises multinationales. Le CEE et les représentants des travailleurs prennent part au processus de négociation et peuvent cosigner l'AET conformément aux procédures FSE et sils font partie de délégations FSE, mais pour avoir accès au cadre juridique optionnel, ils ne peuvent pas être la seule partie signataire du côté des travailleurs.

 

n)    Divulgation du mandat: La divulgation du mandat aux travailleurs est un élément essentiel permettant de qualifier l'accord de "collectif" et de mettre en œuvre tous les intérêts collectifs en jeu. Cependant, les règles de mise en œuvre du mandat – vote à la majorité, représentation intersectorielle, homogénéité des règles à travers tous les secteurs; droits de véto – devraient être entièrement laissées à l'autorégulation des syndicats. Les AET devraient refléter les choix autonomes des agents négociateurs en ce qui concerne la reconnaissance mutuelle des pouvoirs de négociation et la représentativité.

 

o)    Champ d'application de l'AET et changements dans la composition de l'entreprise transnationale. L'AET devrait clairement définir son champ d'application. Elle devrait mentionner les conditions dans lesquelles une filiale sera (ou ne sera pas) couverte par le contenu de l'AET.

 

p)    Clause de non-régression: L'AET occupe son propre niveau, distinct des conventions collectives sectorielles nationales et des accords d'entreprise. L'AET ne peut imposer de changements péjoratifs des normes du travail et des conditions de travail convenues au plan national, que ce soit au niveau du secteur ou de l'entreprise.

 

q)    Règlement interne des litiges: L'AET devrait spécifier que les parties signataires ont une responsabilité commune dans sa mise en œuvre. Il devrait aussi mettre l'accent sur les mécanismes internes de traitement des plaintes pour les travailleurs couverts par le texte.

 

r)     Date et lieu de la signature: L'AET devrait spécifier la date et le lieu de la signature.

 

s)    Date d'expiration et règles destinées à encourager la reconduction: L'AET devrait spécifier s'il est signé pour une durée déterminée ou indéterminée. Dans le premier cas, il convient d'indiquer clairement la date d'expiration et les règles pertinentes qui peuvent permettre aux parties signataires de conclure un nouvel AET. Dans le deuxième cas, l'AET devrait expliquer les règles relatives à la cessation de l'accord.

 

t)     Obligation de notifier l'AET et amendements ultérieurs: Lorsque le cadre juridique optionnel est conclu et que l'AET a été signé, tous les changements ultérieurs, en particulier en ce qui concerne la divulgation du mandat de part et d'autre, la renégociation de l'AET après sa date d'expiration et les éventuelles extensions du champ d'application de l'AET devraient être notifiées à la Commission européenne, ou aux autorités nationales. Le texte de l'accord devrait indiquer que les parties signataires sont tenues de respecter cette notification.

 

La CES continuera d'ouvrir la voie aux conditions d'adoption d'un Cadre juridique optionnel en exerçant un lobbying auprès de la Commission et d'autres institutions de l'UE, en proposant des mesures intermédiaires ainsi qu'une analyse plus approfondie des meilleures pratiques et obstacles concrets, et en lançant un processus de création d'un mécanisme européen de médiation géré par la Commission.

 

La CES continuera d'exercer son rôle de coordination avec les FSE afin d'appliquer les procédures de négociation avec les entreprises multinationales à autant de secteurs que possible.

 

Il est important d'avoir un degré élevé de convergence sur la manière dont ces procédures sont conçues, parce que les procédures officielles adoptées par certaines FSE se sont avérées bénéfiques pour la bonne gestion des négociations et la simplification de la mise en œuvre des accords. Il faut aussi tenir compte du fait que de nombreux AET couvrent plusieurs secteurs, en impliquant souvent plus d'une FSE. La cohérence des procédures adoptées au sein de FSE différentes garantit un déroulement régulier et transparent des négociations.

 

Des AET plus nombreux et de meilleure qualité requièrent un dialogue social amélioré sur ce sujet. Les associations européennes d'employeurs manifestent une certaine réticence à s'engager sur ce sujet avec les syndicats. Par contre, les entreprises multinationales elles-mêmes semblent être plus ouvertes au dialogue.

 

La CES avance les solides arguments suivants pour insister sur un dialogue plus étroit avec les associations d'employeurs:

 

u)    L'ampleur du phénomène des négociations transnationales n'est pas marginale. Le nombre d'entreprises multinationales bien ancrées dans plusieurs d'états membres, justifiant l'existence d'un AET, est estimé à 1.000, dont près de 130 ont déjà un AET. Les AET couvrent quelque 10 millions de travailleurs dans le monde et près de deux millions en Europe.

 

v)    Cela concerne tous les Etats membres. La localisation géographique des AET est associée à tort au siège des entreprises multinationales qui ont signé les accords. Ils sont principalement situés en France et en Allemagne, qui sont les deux pays (conjointement avec le Royaume-Uni) dans lesquels les entreprises multinationales ont établi le plus grand nombre de sièges. Cependant, les AET couvrent - et sont mis en œuvre dans - tous les pays de l'UE.

 

Les expériences passées montrent qu'un cadre juridique optionnel peut avoir un puissant rôle promotionnel à jouer. A titre d'exemple, la directive 94/45 a mis en place un cadre de négociations afin de parvenir à un accord sur les règles d'information et de consultation des salariés au plan transnational. Les règles de négociation figurant dans la directive CEE étaient assez flexibles et optionnelles (y compris l'option de ne pas créer un CEE). Avant l'adoption de la directive CEE, seule une poignée de pionniers avaient l'expérience des négociations en matière de signature d'accords relatifs à l'exercice des droits d'information et de consultation au plan transnational. Deux ans après l'adoption, 350 entreprises ont déjà signé un accord et, aujourd'hui, plus de mille accords ont été signés afin d'introduire les droits d'information et de consultation transnationales des salariés dans les entreprises multinationales.

 

Le rôle promotionnel d'un cadre juridique communautaire, présentant les mêmes caractéristiques de flexibilité et d'optionalité, peut multiplier le nombre d'accords, en diffusant les meilleures pratiques et en améliorant la mise en œuvre des AET existants.

 

Pour ces raisons, la CES soutiendra les FSE afin de tenter d'ouvrir un dialogue avec leurs homologues au plan sectoriel.

 

En outre, afin d'améliorer le dialogue social sur ce sujet, la CES envisage de lancer un projet, éventuellement en partenariat avec les associations d'employeurs, à financer dans le cadre de la ligne budgétaire “Information, consultation et participation des représentants d'entreprises”.

 

 


[1] Disponible en anglais, français, allemand et italien à l'adresse https://collective.etuc.org/node/80