Bruxelles, 7-8 décembre 2006
I. Introduction
1. Le 4 octobre 2006, la Commission a publié une communication intitulée «Une Europe compétitive dans une économie mondialisée» qui a été accueillie favorablement par le conseil affaires générales du 12 novembre 2006.
Cette communication propose de réorienter la politique de l'UE en matière de commerce extérieur à travers une série d'initiatives qui se concrétiseront fin 2006 et début 2007. La CES souhaite préciser dans cette résolution la position qu'elle a déjà exprimée dans un communiqué de presse et lors de deux conférences organisées par le Commissaire au commerce.
2. La CES considère que cette communication rompt avec l'approche pro-multilatéralisme et pro-développement qui est incluse dans le mandat actuel de la Commission en matière de politique commerciale. Elle demande qu'un débat européen large et contradictoire s'engage sur ce sujet, impliquant notamment les partenaires sociaux, et que cette Communication soit mise à l'ordre du jour du Sommet européen du printemps 2007.
3. La CES a lancé, dans cet objectif, une campagne en direction des parlementaires européens et des Etats membres. La contribution de la CES à ce débat sera un des axes majeurs du programme d'action de la CES proposé au congrès de Séville.
II. Contenu de la Communication
4. L'objectif déclaré de la communication est de réviser les priorités de la politique commerciale européenne afin d'en faire le «volet externe» de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi. La nouvelle approche proposée comprend deux volets : un volet externe et un volet relatif aux politiques internes de l'Union. Le volet externe recommande que, pour maintenir sa compétitivité sur les marchés globaux, l'Europe accélère l'accès de ses entreprises aux marchés des pays tiers, en ciblant spécialement l'environnement réglementaire qui existe dans ces pays. Le volet interne prône une meilleure prise en compte des impératifs de compétitivité dans l'établissement des normes européennes et leur harmonisation avec celles des partenaires commerciaux de l'Union européenne.
Volet externe
5. Tout en réaffirmant la priorité donnée au multilatéralisme et à l'obtention d'un accord dans le cadre de Doha, la Commission propose de négocier plusieurs accords bilatéraux de libre échange avec les pays émergents, en particulier l'ANASE (Association des Nations du sud-est asiatique), la Corée du sud et le Mercosur. Ces accords devront aller plus loin qu'un accord à l'OMC, en s'attaquant aux services et aux obstacles de nature réglementaire qui régissent la concurrence, les investissements et les marchés publics. Ainsi, la Commission veut réintroduire les questions «de Singapour» dans les accords bilatéraux alors que les pays en développement ont dit très clairement à Cancun qu'ils ne souhaitaient pas discuter ces points.
6. La Commission, qui vient de publier le livre vert sur les instruments de défense commerciale de l'UE, a confirmé par l'intermédiaire du Commissaire au Commerce Extérieur sa volonté de s'adapter aux changements liés à la mondialisation. Elle a reconnu la légitimité de la demande exprimée de longue date par le mouvement syndical sur la nécessaire référence à l'intégration des normes sociales et environnementales, la reconnaissance du concept de travail décent et d'un agenda du développement durable et de l'environnement dans les accords bilatéraux. Pour la CES, il serait judicieux de renforcer le respect de ces critères par la reconnaissance d'avantages supplémentaires dans les accords commerciaux.
7. Pour faciliter l'accès de l'UE aux ressources de base comme l'énergie, les métaux et les matières premières primaires, il est proposé d'éliminer les restrictions à l'accès aux ressources qui pourraient exister dans les pays partenaires de l'UE, sauf si elles sont justifiées par des raisons de sécurité ou d'environnement.
8. La Commission a proposé au mois de novembre une stratégie détaillée sur les relations avec la Chine qui, dans les domaines commerciaux et économiques, se concentre sur la propriété intellectuelle, l'accès au marché et les possibilités d'investissement.
9. D'ici début 2007, la Commission proposera une série de mesures dans les domaines de la protection des droits de propriété intellectuelle, de l'accès aux marchés publics dans les pays tiers, des instruments de défense commerciale (anti-dumping et mesures de sauvegarde) et d'une nouvelle stratégie d'accès aux marchés.
Volet interne
10. Ce volet interne est certainement l'aspect le plus préoccupant de la communication. Pour mieux soutenir la compétitivité extérieure et mieux servir les intérêts des entreprises européennes, il est proposé que l'UE, lorsqu'elle élabore ses normes réglementaires, recherche le plus possible la cohérence avec ses principaux partenaires commerciaux, y compris par la consultation des industriels hors d'Europe. Ceci concerne toutes les politiques de l'Union, y compris la politique sociale. L'ambition est d'aller encore plus loin que la politique de «better regulation».
11. La Commission reconnaît que les bénéfices de l'ouverture dans le secteur textile n'ont pas été répercutés sur les consommateurs. Elle s'engage à mettre en place un suivi systématique des prix à l'importation et à la consommation avant d'envisager toute nouvelle action.
12. La Commission est consciente que si elle veut des accords de libre échange ambitieux, il lui faudra offrir des concessions en retour en ouvrant des secteurs de l'économie européenne. Outre les périodes de transition et les mesures de sauvegarde, la Commission table sur les nouveaux programmes de cohésion de l'UE ainsi que sur le nouveau Fonds d'ajustement à la mondialisation pour gérer les effets de l'ouverture, mais n'évoque pas spécifiquement les besoins des travailleurs pour s'adapter au changement.
III. Position de la CES
Approche générale
13. La CES n'est pas opposée à une révision partielle de la politique commerciale européenne afin qu'elle contribue davantage à la stimulation de la croissance et à la création d'emplois en Europe. Elle partage certains aspects du diagnostic fait par la Commission et la nécessité pour l'UE d'être plus actif dans les domaines suivants :
a. La nécessité de réorienter les exportations européennes vers les marchés en forte croissance des pays émergents ;
b. La nécessité de faire appliquer les engagements pris par nos partenaires commerciaux en matière de droits de propriété intellectuelle lorsque ces droits n'affectent pas la santé publique et le développement humain dans les pays développement. Cela devrait passer par la fourniture de coopération technique et d'assistance à ces pays et l'identification de pays sur lesquels les efforts de l'UE doivent porter en priorité ;
c. La nécessité de maintenir les instruments de défense commerciale imposant des restrictions temporaires ciblées sur certaines importations anti-concurrentielles en Europe, et de les renforcer si l'UE devait accepter de nouvelles ouvertures de ses marchés.
14. En revanche, la CES tient à exprimer son désaccord avec la réorientation générale proposée pour la politique commerciale européenne en faveur d'un agenda extrêmement agressif de libéralisation dans les pays en développement, sans considération pour ses éventuelles implications sociales et écologiques, positives et négatives.
15. Cette logique que l'on peut qualifier de «mercantiliste» est en contradiction flagrante avec les engagements pris par la Commission pour renforcer la cohérence entre la politique commerciale et les objectifs de développement, sociaux et environnementaux. Ces engagements ont été affirmés dans plusieurs communications, notamment la communication sur l'emploi décent de mai 2006 et celle de 2004 sur la dimension sociale de la mondialisation.
16. L'Union doit promouvoir une approche originale et transparente du commerce extérieur, qui n'est pas celle des Etats-Unis. La CES attend de l'UE qu'elle aligne sa politique commerciale avec les principes qu'elle promeut dans ses politiques et dans ses Traités, et notamment la Charte des droits fondamentaux, à savoir la primauté des droits humains fondamentaux - droits sociaux, sanitaires, environnementaux et culturels des peuples- sur les règles de la concurrence commerciale.
17. La communication ne voit les normes et règles que comme des barrières au commerce ou de la « paperasserie ». Les règles représentent pourtant des préférences collectives. Par exemple, le projet de règlement REACH reflète ce que les européens veulent en matière de sécurité des substances chimiques, même si le règlement n'est pas du goût des industriels hors d'Europe. La CES souhaite que la question des préférences collectives soit remise à l'agenda de la Commission car elle a le potentiel de promouvoir les intérêts collectifs légitimes de l'Europe dans la mondialisation.
18. Il est urgent de s'interroger sur l'impact de la mondialisation sur le changement climatique et la manière dont les règles du commerce international pourraient encourager la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, la CES souhaite que la Commission analyse la possibilité d'instaurer un système d'ajustement de taxes aux frontières vis-à-vis des pays industrialisés « hors- Kyoto » et sur la possibilité de restreindre les droits de propriété intellectuelle sur les technologies essentielles pour la lutte contre le changement climatique.
Accords bilatéraux
19. La CES souligne son attachement au multilatéralisme en matière commerciale. Le cycle de Doha pour le développement fournit de nombreuses opportunités pour aider les pays en développement à s'insérer dans le commerce mondial. De plus, il ne faut pas surestimer la capacité des accords bilatéraux à apporter de véritables bénéfices pour les pays en développement. Par définition, les accords bilatéraux ne permettent pas de traiter certains sujets qui répondent aux intérêts des pays en développement, comme les soutiens domestiques à l'agriculture.
20. La CES souligne l'opportunité pour la Commission, dans le cadre de la relance du cycle de Doha, de réaffirmer la nécessité d'œuvrer et de franchir une étape décisive dans le développement de la coopération entre l'OMC et l'OIT.
21. Ceci dit, la CES n'est pas opposée à des accords commerciaux bilatéraux ou interrégionaux à la condition qu'ils contribuent réellement au développement durable des pays partenaires, de leurs citoyens et de leurs travailleurs. Nous pensons que la Commission a l'opportunité, au travers de ses accords bilatéraux, de promouvoir une politique active permettant un développement de l'emploi de qualité en Europe et chez les partenaires commerciaux, conforme aux objectifs politiques de l'UE, tels le respect de la Charte des droits fondamentaux, le développement d'une politique environnementale active luttant en particulier contre le changement climatique, la promotion de la santé publique au niveau international, en résumé, l'émergence de nouveaux concepts de développement. Malheureusement, nous ne retrouvons pas le développement d'une telle politique active dans la Communication de la Commission.
22. Les futurs accords bilatéraux devront impérativement inclure une dimension sociale. Cette dimension sociale devrait comporter à notre avis trois éléments essentiels constitutifs du travail décent :
-la promotion de l'emploi digne et juste
-la promotion de la protection sociale par des processus publics et privés (mutualités)
-la garantie de l'application de droits sociaux (les 8 conventions fondamentales de l'OIT, le droit à l'emploi, la protection de la maternité, santé-sécurité au travail).
23. Tout accord bilatéral doit être accompagné d'un comité du dialogue social, composé de représentants économiques et sociaux des secteurs urbains et ruraux. Sa tâche devrait être de veiller à la mise en oeuvre de la dimension sociale et d'en négocier les modalités de façon tripartite ou bipartite.
24. L'accord en discussion avec le Mercosur doit impérativement intégrer une telle dimension sociale, comme le demandent conjointement la CES et les organisations syndicales de la région.
25. L'accord commercial envisagé avec la Corée du Sud constituera un véritable test de la volonté de la Commission de promouvoir les droits légitimes des travailleurs à travers ses accords commerciaux. La Corée du Sud est le seul pays de l'OCDE qui ne respecte pas ses obligations internationales en matière de droits du travail, en particulier la liberté d'association. Un éventuel accord avec la Corée du sud qui n'inclurait pas des dispositions visant à promouvoir le respect des normes fondamentales de l'OIT serait totalement inacceptable aux yeux de la CES.
Dimension interne de la communication
26. La communication ne dit rien sur le prix que l'UE devrait payer pour obtenir l'ouverture des marchés des pays tiers par ces nouveaux accords de libre échange, en particulier dans les secteurs sensibles des services et du mode 4 (mouvements temporaires de fournisseurs de services). Si de tels accords devaient être engagés, ils devraient être précédés impérativement par un débat ouvert et contradictoire sur ce point.
27. Pour la CES, les réglementations et les normes européennes ne doivent pas être uniquement régies par l'impératif de compétitivité si cette notion se résume à la maximisation des parts du marché mondial détenues par les entreprises multinationales établies en Europe. A fortiori, ces normes ne doivent pas être établies en consultation avec les entreprises hors de l'Union. La recherche à tout prix d'une convergence réglementaire avec les Etats-Unis ne ferait pas progresser la prospérité européenne, construite sur des normes sociales et environnementales élevées. L'Europe devrait au contraire chercher à projeter ses normes à l'extérieur, à travers l'ensemble de ses politiques.